Un phénomène inquiétant est, depuis quelque mois, en train de causer des frustrations à certains abonnés mobiles en Tunisie. «Très souvent, je reçois des appels affichant un numéro d’Orange Tunisie, mais quand je décroche, je trouve quelqu’un au bout du fil qui m’appelle d’un pays étranger», s’étonne Khadija Benhassine, commerçante dans l’industrie artisanale. «Parfois je suis pris par le travail et je n’arrive pas à répondre à tous les coups de fil. Et quand je rappelle ces numéros, ça sonne et personne ne décroche. Mes clients à l’étranger me rappellent alors quelques heures ou jours après et me reprochent de ne pas avoir pris la peine de les rappeler. C’est très gênant !».
D’après Mme Benhassine, ce désagrément qu’elle arrive à gérer malgré tout, devient très énervant quand il s’agit, parfois, d’appels de plaisantins ou de spams. «Avant je recevais des SMS m’invitant à appeler un numéro étranger. Bien entendu, je les effaçais systématiquement. Mais maintenant, je reçois carrément des appels internationaux où un répondeur m’invite à appeler un numéro international pour gagner une voiture. Et le plus souvent, ces appels affichent un numéro mobile d’Orange Tunisie. Conséquence : je commence à devenir parano à chaque fois que je vois un numéro mobile tunisien inconnu s’afficher sur mon portable. Je ne sais plus quoi faire pour éviter ces problèmes».
Nous avons demandé à notre interlocutrice le nom de l’opérateur de sa ligne mobile professionnelle. «Tunisie Telecom», répond-elle. «J’ai des lignes chez les autres opérateurs. Mais je ne reçois pas autant d’appels ‘anonymes’ que sur ma ligne pro».
Les appels bypass, une perte de devises pour la Tunisie
Ce type d’appel, nommé bypass, ne cause pas seulement des désagréments aux utilisateurs. Leur multiplication fait perdre du chiffre d’affaires aux opérateurs et prive la Tunisie d’une importante entrée d’argent.
Un expert des communications internationales, qui collabore avec les opérateurs télécoms tunisiens, nous a révélé que ce phénomène est apparu après la chute de Ben Ali et avec la suppression de tout contrôle de la VoIP. «Il y a tout un système mafieux qui s’est installé. Des personnes ont fait entrer en Tunisie des SIM Box dans lesquels ils mettent des lignes mobiles nationaux. Si une personne à l’étranger compose un numéro téléphonique tunisien, l’appel passera par Internet au lieu du circuit classique, et atterrit, par la suite, dans cette SIM Box qui se chargera de transmettre la communication sur le réseau mobile national au prix d’un appel local».
Les pertes se comptent en centaines de milliers de dollars
A l’étranger, le marché des liaisons internationales est ouvert à la concurrence. Une entreprise peut conclure un accord avec un opérateur qui gère ces liaisons. Une fois l’accord conclu, cette entreprise installe son propre serveur IP-Gateway et propose des offres commerciales avantageuses. Ayant le choix, les opérateurs télécoms peuvent opter pour l’une de ces entreprises pour faire passer ses appels internationaux vers telle ou telle destination. Jusque-là, rien d’anormal.
Mais certaines de ces entreprises privées collaborent plutôt avec ledit réseau mafieux pour faire véhiculer la communication par circuit sauvage jusqu’aux SIM Box de la destination finale. La différence de coût entre ce circuit et le circuit classique de transmission peut atteindre les 80%. Soit autant d’argent gagné illégalement par le réseau mafieux.
Notons qu’une seule SIM Box avec 60 cartes SIM peut gérer jusqu’à un million de minutes par mois, ce qui représente environ 5 à 10% du trafic international reçu par la Tunisie. Soit autant de pertes en devises pour l’économie nationale.
Rappelons également que l’Instance Nationale des Télécommunications (INT) a mis en demeure les 3 opérateurs télécoms suite à l’apparition de plusieurs lignes mobiles en Tunisie et dont le nom du propriétaire n’est pas identifié.
Face à la prolifération de ce phénomène, causant d’énormes pertes à l’économie et augmentant les risques pour notre sécurité nationale, l’Etat est appelé plus que jamais à prendre les mesures nécessaires pour démanteler ce réseau mafieux. Les opérateurs télécoms doivent également montrer patte blanche. Comment ? En collaborant avec l’Etat et ce, en nettoyant leur base de données des numéros ‘fantômes’. Des numéros utilisés par ce réseau mafieux et qui, parfois, portent le nom de clients réels qui n’en sont pas au courant.
Welid Naffati
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