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Arrêt général d’Internet en Tunisie : Attention au blackout qui isolera le pays du reste du monde (3/3)

Arrêt général d’Internet en Tunisie : Attention au blackout qui isolera le pays du reste du monde (3/3)

Imaginez qu’un jour, vous vous levez et vous ne trouvez plus d’Internet. Pourquoi ? Parce que votre opérateur/fournisseur d’accès a des impayés avec Tunisie Telecom bien que vous ayez déjà payé votre abonnement rubis sur ongle. Que feriez-vous ?

Arrêt général d’Internet en Tunisie : Attention au blackout qui isolera le pays du reste du monde (3/3)Imaginez qu’un jour, vous vous levez et vous ne trouvez plus d’Internet. Pourquoi ? Parce que votre opérateur/fournisseur d’accès a des impayés avec Tunisie Telecom bien que vous ayez déjà payé votre abonnement rubis sur ongle. Que feriez-vous ?

Cette question et le titre de cet article sont, certes, très alarmants. Mais il ne s’agit plus d’un scénario catastrophe. Les indicateurs parlent d’eux-mêmes et sont très inquiétants. Que ce soit au niveau administratif, économique, ou politique. 

En janvier 2013, l’Etat tunisien a mis fin au monopole de l’Agence Tunisienne d’Internet (ATI) sur les liaisons internationales. Il a, en effet, signé un avenant avec Tunisiana (filiale de l’opérateur qatari ooredoo) et Orange, modifiant les termes de leurs licences. En sa vertu, ces derniers n’auront plus l’obligation de passer par l’ATI pour consommer la bande passante internationale.

Seulement voilà, près de 10 mois après, et jusqu’au moment de la rédaction de ces quelques lignes, le décret validant cet avenant n’est toujours pas paru sur le Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT). En clair, le nouveau contrat n’est pas encore valide et tout opérateur/FAI est, donc, obligé légalement de passer par l’ATI.

Comme déjà annoncé dans la première partie, la 3G d’Orange transitera, à partir du 1er octobre, directement sur les liens internationaux sans l’intervention de l’ATI. Une telle architecture fait risquer gros à Orange. Si mauvaise volonté politique il y a, on pourra, en effet, attaquer en justice l’opérateur et lui retirer sa licence. Malgré le fait qu’il n’est pas le seul opérateur dans cette situation puisque Tunisiana utilisait (jusqu’à maintenant?) déjà une connexion satellitaire pour envoyer une partie de son flux afin de contourner la cherté du prix fixé par TT sur l’international.

Pis, Orange (entreprise à 51% tunisienne) se trouvera obligée de casquer plus de devises suite à une augmentation dans le trafic. Ses clients ne bénéficieront plus du peering national via la plateforme TunIXP. Il est vrai que Orange a installé plusieurs serveurs de caching sur son propre réseau, mais ceci ne pourra améliorer, d’une manière générale, la qualité de la connexion sur plusieurs sites tunisiens hébérgés en Tunisie. 

Prenons l’exemple du streaming audio/vidéo. Si un client Orange souhaite écouter en live le flux d’une radio FM tunisienne ou celui de la télé nationale, la transmission se fera selon ce schema : Tunisie (envoi de la requête depuis le client Orange) -> France (IXP) -> Tunisie (serveur streaming) -> France -> Tunisie (réception et lecture du flux).

Soit autant de millisecondes de décalage et de devises supplémentaires à payer pour augmenter la bande passante. Chose qui n’arrangera pas vraiment la situation financière de ce troisième opérateur toujours en cours d’investissement pour desservir tout le territoire.

Mais du côté de l’opérateur on ne l’entend pas de cette oreille. Car, pour eux, la majorité du trafic des internautes en Tunisie est dirigé vers l’étranger (95%). Donc, autant passer directement sur les câbles sous-marins sans payer les services supplémentaires de l’ATI. Et tant pis si cela ne vas pas aider à améliorer la qualité de l’hébergement du contenu en Tunisie. Après tout, à quoi bon de militer pour une cause nationale si le gouvernement, et encore moins Tunisie Telecom, ne semblent pas y prêter attention ? 

Mais quid de l’ADSL d’Orange ? Il sera, en effet, routé directement sur les liaisons internationales de Tunisie Telecom au lieu de celles louées par Orange. Ce dernier se trouvera obligé de payer encore plus cher sa rivale Tunisie Telecom. Ce qui apportera de l’eau au moulin d’Orange pour pousser ses clients à adopter la 3G au lieu de l’ADSL. Tout le plan de la Banque mondiale pour booster le secteur des TIC en Tunisie tombe à l’eau.

Et puis, avec la situation financière de TT, il est fort à parier que l’opérateur historique arrive à un point où il coupera les accès à tout le monde, faute de paiement. D’après nos sources, GlobalNet et Hexabyte (deux FAI en grande difficulté financière à cause du déclin de l’ADSL) seraient, eux aussi, dans une position peu confortable vis à vis de Tunisie Telecom puisque le montant des impayés jusqu’à décembre 2012 s’élèverait à plus de 2 millions de dinars !

Par conséquence, ceux qui ont une connexion ADSL chez Topnet (filiale Tunisie Telecom) ou un abonnement 3G chez TT, risquent-ils un tel désagrément ? Oui, aussi ! En effet, et comme déjà expliqué dans un précèdent article (lire : Y aura-t-il dans les prochains mois une fermeture en cascade des sites tunisiens ?), il y a de fortes chances que la Tunisie arrive à court de réserves en devises. La crise politique perdure depuis des mois, les indicateurs sont au rouge et le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) multiplie les cris de détresse, en vain. 

Faut-il alors que le gouvernement publie illico-presto le décret faisant entrer en vigueur l’avenant ? Trop difficile. Pourquoi ? Parce que l’Etat n’a pas encore créé la fameuse Agence Technique pour les Télécommunications rattachée à la Police Scientifique (lire : Pour le bien de l’économie numérique, l’Etat doit se doter d’une cyber-police). Le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a carrément défendu le projet devant l’ANC en mai dernier (lire : Une partie de la Police Scientifique se chargera de la criminalité sur Internet). Depuis… rien ! 

De ce fait, l’Etat doit trouver une solution alternative aux pratiques imposées par Zaba à savoir utiliser l’ATI (toujours considérée comme la porte d’entrée et de sortie du pays) pour pouvoir traquer les terroristes (dont la menace pèse sur la sécurité de la Tunisie). Et à la lumière des dernières révélations de l’IRVA sur la présumée implication de quelques cadres du ministère dans l’assassinat de l’opposant à Ennahdha, Chokri Belaid, il est difficile que ce projet puisse passer en priorité devant toutes les commissions, conseils et autres plénières à l’Assemblée Constituante.

Pourquoi le gouvernement a-t-il alors signé cet avenant s’il ne l’applique pas ? La réponse réside dans les pressions de la Banque mondiale. Cette dernière a conditionné ses prêts par des réformes, notamment dans le secteur des TIC. Résultat : la situation est devenue encore plus compliquée qu’avant et les résultats sont calamiteux. Comme quoi… la Banque mondiale n’est pas la mieux outillée pour sauver l’économie d’un pays…

Devrions-nous alors baisser les bras et attendre la catastrophe ? Absolument pas. Il existe deux solutions urgentes à mettre en oeuvre. La première : l’Etat doit, dans les plus brefs délais, créer DANS LA TRANSPARENCE cette agence de cyber police et puis officialiser l’avenant. La deuxième : l’ATI doit avoir son statut clarifié une fois pour toute ainsi que celui du TunIXP

Tous les opérateurs/FAI doivent, d’ailleurs, être présents pour raccorder gratuitement leur câbles à ces TunIXP. Il est vrai que Orange a déjà une liaison directe avec l’un d’eux (à Enfidha chez Meninx). Mais cette liaison hertzienne de 100 Mb/s est plutôt insuffisante pour y faire véhiculer le trafic destiné aux serveurs locaux.

Du côté de l’INT, le régulateur doit absolument s’autosaisir pour réguler le prix du Méga bit. Il est vrai qu’il a chuté de 49 dinars HT (en 2011) à 27 dinars HT (en 2013), mais ça n’empêche que ce prix reste encore trop cher par rapport aux pays où les accès vers les câbles sous-marin ont été ouverts à la concurrence.

A moins qu’une partie inconnue cherche à compliquer la situation afin d’étouffer l’ATI…

Welid Naffati

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