La Société Financière Internationale (IFC) a publié, en novembre 2022, une étude menée en 2021 auprès du secteur agricole en Tunisie. Une enquête visant à évaluer l’inclusion financière agricole grâce à la digitalisation ; une problématique urgente mise en exergue au cours de la pandémie du Covid-19.
L’inclusion financière des populations exclues est une problématique de plus en plus présente en Tunisie. Dans ce contexte, le pouvoir public a entrepris une série d’initiatives telles que le Startup Act, le Plan national stratégique « Tunisie Digital » ou encore la Stratégie nationale de « decashing ». L’IFC a décidé, dans un même effort, de concentrer son étude sur le secteur agricole en Tunisie et, plus précisément, sur trois filières du domaine : l’huile d’olive, la datte et la tomate. Trois segments qui représentent, au total, 60% de l’exportation agricole du pays avec une production annuelle estimée à 4 milliards de dinars tunisiens.
Dans son étude, l’IFC met en lumière les défis structurels rencontrés par le secteur agricole. Fragmentation des terres, absence de titres fonciers formels, forte vulnérabilité aux aléas climatiques, vieillissement et manque d’éducation de la population agricole ou encore prédominance des techniques agricoles traditionnelles.
De plus, au niveau financier, l’utilisation de cash et de sources de financement informelles sont les deux moyens les plus utilisés par les agriculteurs lors des opérations financières avec 96% qui ont recours à l’espèce et 60% qui dépendent de sources informelles dans le cadre de leurs opérations de décaissement et d’encaissement.
De ce fait, des opportunités relatives aux trois filières se présentent pour le développement du secteur financier formel avec, tout d’abord, un potentiel de digitalisation des paiements des trois chaînes de valeur avec une estimation d’environ 3,7 milliards de dinars, avec un besoin de financement de fonds de roulement des agriculteurs évalué à 810 millions de dinars, et une demande de financement des investissements à long terme des agriculteurs de près de 5,7 milliards de dinars.
Digitalisation de l’huile d’olive
L’huile d’olive, filière majeure du secteur en question, comptabilisant 18% de la production totale, est sujet à de multiples enjeux notamment avec les fluctuations de la production et des récoltes d’une saison à l’autre. Avec une tendance générale à la hausse, la production reste cependant instable et imprévisible. La concurrence internationale accrue des autres grands producteurs, comme l’Italie et l’Espagne, et l’extrême volatilité des prix s’ajoutent aux enjeux nationaux affrontés par la filière oléicole.
Au niveau des finances, 95% des agriculteurs de la filière de l’huile d’olive utilisent exclusivement les moyens de paiement non-digitaux. Une pratique expliquée par le manque d’accès aux moyens de paiement digitaux, la préférence de l’écosystème pour l’espèce ou encore la perception de rapidité et de facilité d’utilisation de cette technique financière. Cependant, d’après l’étude menée par l’IFC, la majorité des professionnels des trois chaînes de valeur agricole, 61%, disposent d’un compte transactionnel de tout type ; un taux élevé par rapport au reste du secteur (56%) mais bas par rapport aux particuliers (69%).
Les agriculteurs tunisiens, malgré une certaine réserve vis-à-vis des institutions financières, pour diverses raisons dont l’opacité et la complexité des procédures, expriment un intérêt et une volonté quant à l’utilisation des solutions digitales innovantes. Selon l’enquête de l’IFC, 60% des personnes interrogées sont intéressées par des solutions digitales permettant d’optimiser la gestion de leur approvisionnement en intrants, de leurs cultures, de la commercialisation de leurs produits et plus particulièrement des ressources en eau. Près de la moitié des agriculteurs de la chaîne de l’huile d’olive, soit 47%, ont manifesté un intérêt certain pour la mise en place de moyens de paiement digitaux, reconnaissant leur valeur ajoutée dans la facilitation des procédures de paiement et la réduction des risques liés à la manipulation du cash.
Ainsi, dans cette optique de digitalisation, plusieurs huileries ont commencé à se moderniser, mais la moitié d’entre elles ont encore recours à des techniques de trituration traditionnelles. La mise en fonction d’une plateforme de commerce digitale permettrait de connecter les agriculteurs, les entreprises de transformation et les fournisseurs d’équipements afin de faciliter les commandes et les paiements pour l’achat, la location ou encore même le leasing. L’intégration d’une solution digitale de paiement favoriserait, à travers la digitalisation des paiements, la traçabilité, la rapidité et l’efficience des transactions. Pour ce faire, il est primordial de faciliter l’accès et l’échange d’information entre les exploitants agricoles et les institutions financières. Les solutions digitales en question permettent d’introduire des méthodes alternatives de collecte de données et donc de nouvelles techniques d’évaluation du dossier de crédit ; défi majeur avec seulement 45% de crédits accordés aux sondés dans la filière oléicole.
La mise en place d’un système de récépissés d’entrepôt (WRS – Warehouse Receipt System) numérisé figure parmi les opportunités de digitalisation de la filière de l’huile d’olive. En outre, la chaîne de cette filière est caractérisée par un déséquilibre significatif entre les parties prenantes au niveau du pouvoir de fixation des prix et des marges bénéficiaires. Une problématique à laquelle le WRS peut répondre. Par exemple, à l’aide du système WRS, les huileries seraient en mesure de stocker l’huile d’olive dans des entrepôts approuvés, et ainsi obtenir des récépissés pouvant être exploités comme garantie lors d’une demande de crédit. L’intégration d’une solution de paiement, par la suite, à la plateforme permettra d’intégrer les transactions financières en lien avec les matières premières.
Des propositions qui mettent en lumière les différentes opportunités d’exploitation de la digitalisation du secteur agricole ; des solutions concrètes, répondant à des problématiques réelles du secteur.
Meriem Choukaïr