Tunisiana a subi une panne de grande ampleur sur plusieurs régions de la Tunisie. Une fois maitrisée, l’opérateur a accordé un geste commercial à tous les clients impactés. Mais des voix se sont levées mettant en doute la compétence technique et commerciale de Tunisiana. «L’incompétence c’est quand on ne peut pas résoudre un problème qui fait partie de ses compétences», se défend Yves Gauthier, directeur général de Tunisiana dans une longue interview accordée à THD/TuniTech. Il a décrit cette panne de «première mondiale pour Nokia», l’équipementierde Tunisiana.
M. Gauthier nous a gentiment invités dans son bureau afin de répondre à nos derniers articles concernant cette panne. Interview.
THD/TuniTech : Que s’est-il passé exactement lors de la journée de la panne du 18 juillet dernier ?
Yves Ghautier :Il y a eu deux problèmes en réalité. Ça a commencé avec un souci de câblage sur un switch récent. Celui de Sousse en l’occurrence. Il y avait, pour simplifier les choses, des « broches tordues » dans un connecteur. Ce défaut n’était pas franc et il générait des erreurs qui se sont accumulées au niveau du switch. A un moment, il y a eu tellement d’erreurs, qu’il a fallu redémarrer l’équipement. Normalement cette procédure prend 15 minutes et se fait généralement la nuit puisqu’elle engendre une brève interruption de service.
Et c’est là qu’il y a eu un deuxième problème. Il y avait une table de données pleine qui bloquait le redémarrage du logiciel. C’est le département Recherche et développement de Nokia, le constructeur du switch, qui a pu aboutir à cette conclusion.
Pour faire fonctionner le switch, on a été alors obligés de prendre une sauvegarde qui n’avait pas cette table complète. On en a essayé une toutes les 15 minutes et nous sommes remontés jusqu’à la sauvegarde du mois d’avril dernier. C’est ce qui nous a permis de redémarrer le switch. Nous y sommes parvenus à 1h du matin. Le service a été rétabli mais d’une façon partielle.
Il fallait en effet tout reconfigurer. La situation ayant évolué depuis la date de la sauvegarde puisqu’on n’a plus les mêmes acheminements ni les mêmes circuits. Le réseau change tout les jours, vous savez ! Il a fallu recharger pas à pas toutes les modifications qui ont été faites depuis avril.
Avant cette date, n’avez-vous pas décelé quelques défaillances annonciatrices d’une prochaine panne sur le switch de Sousse ?
On avait eu une première alerte le 14 juillet. Nous avons alors fait un redémarrage qui a rétabli la situation. Personne ne s’était aperçu du problème des broches. Ces erreurs sont apparues le 18 juillet et ce jour là le reboot n’a pas abouti.
Pourquoi alors n’avez-vous pas agit suite aux premiers signaux d’alerte du 14 juillet ?
Trouver une erreur qui n’est pas franche est très difficile. Quand on a eu ces erreurs, on a alerté Nokia pour qu’ils mènent leurs investigations. Seul le département R&D de Nokia, et après une profonde analyse, a pu comprendre la source du problème. Ceci confirme donc qu’on ne peut pas du tout parler d’ «incompétence» chez Tunisiana.
Est-ce le même type de panne de 2007 ?
Non. En 2007, c’était une panne qui a touché une tranche de clients TUNISIANA. Quand vous téléphonez, et avant de vous connecter au numéro demandé, il y a une vérification des caractéristiques du client (l’abonné a-t-il le droit d’appeler, a-t-il un service restreint, où est-ce qu’il est localisé, etc.). Et c’était cette base de données qui a été touchée. Dans ce cas là, il était facile de recenser tous les clients compris dans cette base. Sur le réseau par contre, il est très difficile d’identifier les clients touchés. C’est le cas pour la panne du 18 juillet. Et pour cause : un client pouvait habiter Bizerte et être ce jour-là à Nabeul.
A propos, vous dites que c’est le switch de Sousse qui a subit un dysfonctionnement. Pourtant, la panne a touché non seulement Sousse, mais le Cap Bon et Sfax aussi.
Le switch de Sousse dessert le Cap bon, Nabeul, certaines zones de Sousse, et une partie de Sfax. Tout comme une même ville peut être répartie sur deux switchs différents.
Vous ne pouvez pas acheminer le trafic d’un switch défectueux à un autre ?
Si, et c’est exactement ce qu’on a fait. La zone de Sfax a été basculée sur le switch de Gabes. Nabeul a été basculé sur les switchs de Tunis. On a réussi au même moment à faire relancer celui de Sousse. Mais comme on avait déjà entamé ces travaux de basculement, on était obligés de les continuer. Arrêter cette opération nous aurait fait rebasculer sur le switch d’origine et nous aurait fait perdre ainsi plus de temps.
Il y a une dynamique continuelle du réseau qui peut engendrer des petites déstabilisations, imperceptibles pour les clients parce que nous avons des équipements de relais. Mais quand il s’agit d’une panne logicielle, même le switch de secours ne prend pas la main, et c’est ce qui s’est passé pour Sousse.
En basculant le flux de Nabeul et donc du Cap Bon sur celui de Grand Tunis, n’aviez-vous pas peur de faire «ramer» le switch de la zone la plus dense de la Tunisie et prendre le risque de faire tomber le réseau également dans la capitale et sa banlieue ?
Nos 4 switchs pour le Grand Tunis sont partiellement en IP. On n’a pas de problèmes en termes de capacité de switchs. On a gardé les commutateurs de l’ancienne génération puisqu’on n’a pas fini le basculement total vers le tout IP.
Le switch de Sousse était alors d’ancienne génération ?
Non. Il est de nouvelle génération. C’est rare qu’un sérieux problème se déclare sur un switch qui fonctionne depuis 4 ans. Celui de Sousse fait partie d’une nouvelle flotte de commutateurs avec un nouveau software. Tunisiana est parmi les premiers à les avoir déployés.
Les abonnés de Tunisiana dans le sud de la Tunisie ont eux aussi subit des perturbations le 18 juillet dernier. Est-ce qu’il y a une relation avec le switch défectueux ?
Au sud, il y avait un problème d’acheminement à l’international et peut-être vers une partie des numéros de Tunisie Telecom. Et c’est le commutateur de Sousse qui s’occupe de cette fonctionnalité pour la partie Sud. Nos clients du Sud ont cependant continué à appeler normalement les numéros Tunisiana.
Le site de Sousse est l’un des plus importants et il a une très grande interconnexion avec Tunisie Telecom. Il a fallu donc re-router ces appels ailleurs. Cette opération a pris un peu de temps puisqu’il a fallu re-déclarer tous les circuits.
La migration vers le réseau IP a-t-il une relation avec votre préparation à la 3G ?
Les réseaux IP permettent de transporter une grande quantité de Data. On en transporte déjà beaucoup en 2G. Donc, ce type de réseau est mieux adapté aux évolutions futures de transmission des données, notamment en 3G.
En 2007, suite à la panne, vous avez offert à vos abonnés 24h d’appel gratuits vers tous les numéros nationaux. Des clients trouvent que votre geste commercial pour cette année est moins généreux. Devient-on radin chez Tunisiana ?
On a été plus généreux cette année qu’en 2007. Tout d’abord, une personne dort en moyenne 8 heures. Ce n’est pas possible qu’on puisse passer 24 heures à parler au téléphone. De plus, il y a eu des personnes qui se sont mises à revendre des minutes d’appels à leurs voisins, amis, cousins, etc.
Cela a créé un trafic énorme et des pertes qui ne correspondaient pas à une compensation individuelle. En effet, pendant les 24 heures on appellera peut être toutes les personnes à qui on n’a pas parlé dernièrement mais ça ne reflétera pas l’utilisation habituelle. D’autant plus que les appels redeviennent payants le lendemain.
Pour cette fois-ci, notre geste de compensation était plus adapté et personnalisé. Si un client qui a subi la panne a dépensé 5 dinars durant 15 jours, nous lui avons offert 5 dinars de compensation, c’est autant dire qu’on lui donne l’équivalent de sa consommation des 15 jours gratuitement. En outre, il recevra le 100% Bonus lors de sa première recharge. C’est donc un double dédommagement.
Mais ces bonus sont valables uniquement vers les numéros de Tunisiana. Donc ceux qui parlent beaucoup avec les autres numéros ne vont pas bénéficier des avantages de cette gratuité. Peut-on toujours parler de générosité dans ce cas ?
Oui. Imaginons que vous rechargez avec 5 dinars sans qu’on vous donne un bonus. Imaginons aussi que vous consommiez 3 dinars vers les numéros Tunisiana et 2 pour les autres réseaux. Avec ce bonus, vous transformez vos 3 dinars de Tunisiana en 5 dinars. Les 5 dinars que vous avez rechargés pourront être consommés vers les autres réseaux.
Donc finalement, pour le même prix, on vous double votre consommation non seulement pour Tunisiana mais aussi vers les autres réseaux.
C’est quand que votre réseau basculera au tout IP ?
Les opérations de basculement vers le tout IP prendront fin normalement en décembre prochain. Ce sont des opérations extrêmement lourdes et délicates. En gros, c’est comme si vous changiez le cœur de quelqu’un tout en le tenant en vie et sans que ça se voit. Basculer un switch d’ancienne génération à un nouveau, c’est un million de clients qui changent en un seul coup.
Aujourd’hui, nous avons 50% de la voix qui circule sur le protocole Internet et le reste est encore sur le système traditionnel.
Selon une information publiée par la mission économique ubifrance en Tunisie, Tunisie Telecom va obtenir la licence 3G cet été. Qu’elle est la position de Tunisiana par rapport à ce sujet?
Notre position est qu’on aimerait bien nous aussi avoir la licence 3G. Si deux opérateurs ont cette licence, ça me parait bizarre que le troisième n’en ait pas. Dans le cas où Tunisie Telecom aurait effectivement la licence 3G, je pense qu’on va demander quand est-ce qu’on y aura droit également. Il faut qu’il y ait une concurrence saine et équilibrée.
[Fin de la première partie. Dans la deuxième partie de cette Interview, le directeur général de Tunisiana mettra un terme aux rumeurs concernant la réduction du nombre des salariés de l’entreprise et déclare être prêt à contester l’exclusivité de l’iPhone chez Orange Tunisie sous condition. A suivre.]
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