Avec l’entrée d’Orange sur le marché tunisien, on nous a promis l’ADSL dégroupé grâce auquel le client ne paiera plus de facture de téléphone fixe pour Tunisie Telecom, et bien plus encore : Internet jusqu’à 20 méga, téléphonie illimitée via le protocole VoIP, télé sur ADSL, etc. Bref, l’entrée d’Orange en Tunisie a laissé rêveurs bien des technophiles. Plus d’une année après, tous ces services se font toujours attendre.
Il faut dire qu’une grande part de ce retard est due à la célérité de Tunisie Telecom. La mise en place de tout le processus technique s’éternise. Mais pour ne pas aller trop vite en besogne, notons que ce n’est pas la mauvaise volonté de l’opérateur historique qui bloque l’évolution du dossier. Trois mois de grèves ont été suffisants pour décaler de plusieurs mois le travail entamé depuis l’année dernière sur ce dossier.
Mais depuis la fin de la crise sociale, c’est une autre crise qui vient de se déclarer chez l’opérateur historique : la branche fixe de Tunisie Telecom est au bord de la faillite. De quoi provoquer quelques tensions avec l’Instance Nationale des Télécommunications (INT) : TT reproche en effet au régulateur son parti pris pour Orange Tunisie au sujet de la VoIP.
Et pour cause : le nouvel opérateur est obligé, légalement, de lancer son service de téléphonie fixe une année maximum après son lancement commercial. Mais à la vue du retard dans le dossier du dégroupage ADSL, Orange Tunisie a du lancer ce service sur l’ADSL classique de TT (le client continue de payer TT pour la connexion haut débit). Cette situation est pourtant interdite dans les clauses de la licence accordée à Orange.
Le casse-tête chinois de l’INT
En termes plus clairs : la situation dans laquelle se trouve actuellement Orange est très complexe. Le nouvel opérateur doit lancer dès aujourd’hui son téléphone fixe au risque d’être sanctionné pour non respect des clauses de sa licence. Mais dans le même temps, ce n’est pas demain la veille qu’il aura accès à l’ADSL dégroupé. Et pour couronner le tout : il ne pourra pas lancer, non plus, sa téléphonie fixe via VoIP sur une connexion TT.
Pis : Tunisie Telecom ne se montre pas vraiment coopérative sur le dossier de l’ADSL dégroupé. Et pour cause : le lancement de cette technologie signera la fin de la téléphone fixe. D’autant que cette branche est déjà déficitaire chez TT. Le PDG de Tunisie Telecom, Ali Ghodhbani, l’a même récemment avoué devant la presse (lire : Faut-il augmenter le prix du fixe pour lancer l’ADSL dégroupé ?). En effet, pour maintenir une ligne fixe en service, Tunisie Telecom dépense en moyenne 9 dinars par mois. Or la redevance d’une ligne fixe est actuellement fixée à 6 dinars par mois. Soit 3 dinars de perte sur chaque ligne fixe.
Lors de la conférence de presse, M. Ghodhbani a lancé un appel indirect à l’INT l’exhortant à revoir en urgence le plan de tarification du fixe. Aux yeux de la direction de Tunisie Telecom, ce dossier devrait être au top des priorités du régulateur, avant même celui de la VoIP d’Orange. C’est la santé financière de l’opérateur historique qui est en jeu.
La grogne de Tunisie Telecom
Prise entre deux feux, l’instance a choisi une solution temporaire : celle de l’ADSL Bitstream National (lire : Fin de la redevance ADSL de Tunisie Telecom à partir du 20 septembre). Ceci permettrait alors au régulateur de faire tous les audits nécessaires sur le coût réel des communications téléphoniques mobiles et fixes, ainsi que sur les frais réels d’une connexion ADSL. L’INT pourra ainsi mieux coordonner ses décisions avec Tunisie Telecom sur le plan de rééquilibrage des tarifs du fixe.
Bien qu’elle soit temporaire, cette solution d’ADSL Bitstream National est donc, aux yeux du régulateur du moins, le juste milieu. D’autant plus que le client final y trouvera son compte : une seule facture, un seul vis-à-vis et un prix d’abonnement mensuel moins cher de 2 à 3 dinars par rapport aux tarifs pratiqués actuellement.
Un imbroglio hérité de l’ancien régime qui visait à casser TT
Seulement voilà : Tunisie Telecom ne l’entend pas de cette oreille et l’a fait savoir via un droit de réponse diffusé sur THD (lire ici). L’opérateur historique y adresse un message clair à l’instance nationale : «Les tarifs du «Bitstream National» ne sont autres que ceux appliqués dans le cadre de l’offre de revente actuelle mise déjà à la disposition des FAI ; avec une réduction d’environ 15% (approche Retail Minus).
De ce fait, ces nouveaux tarifs, ne reflétant nullement les coûts supportés par Tunisie Telecom, ne peuvent être en aucun cas considérés comme excessivement chers par rapport aux tarifs en vigueur appliqués pour la collecte ADSL (-15%). En outre, il y a lieu de préciser également que la bande passante internationale n’a pas été affectée par ce changement tarifaire», avertit Tunisie Telecom dans son droit de réponse.
Traduction : l’ADSL Bitstream ne fera que creuser davantage le déficit de sa branche fixe. D’autant plus que c’est TT qui continue à payer (très cher) la bande passante internationale.
L’une des plus grandes erreurs commise par l’Etat tunisien en accordant une licence universelle de télécommunication à Orange, est d’avoir délibérément retardé le rééquilibrage des tarifs du fixe. Mais cette situation a été voulue par le régime de Ben Ali. Dans quel but ? Affaiblir financièrement Tunisie Telecom pour faciliter sa revente au clan des Trabelsi.
L’INT a donc hérité de l’ancien régime un imbroglio économico-juridique qui risque, à long terme, d’avoir des répercussions néfastes sur le secteur des télécoms en Tunisie. Le régulateur doit donc agir vite pour y mettre de l’ordre. Encore faudrait-il que les opérateurs fassent preuve de bonne volonté pour aider l’Instance dans cette tâche…
Welid Naffati
Laissez votre commentaire sur le forum