«Le véritable enjeu pour la Tunisie, est de devenir une e-société», a déclaré Claude de Jacquelot, expert international en TIC, lors de la table ronde organisée par la banque mondiale à Tunis le mardi 19 juin dernier au sujet de la concurrence dans le secteur des télécommunications en Tunisie.
«La Tunisie est classée 50ème pays au monde en développement numérique, et 1ère sur l’Afrique. C’est bien, mais ne vous réjouissez pas trop», rajoute-t-il par la suite. «Vous avez maintenant un double défi : garder votre leadership sur l’Afrique tout en vous rapprochant de l’Europe».
Graphiques à l’appui, M. de Jacquelot a fait un état des lieux de l’Internet en Tunisie : «Il y a un boom des abonnements 3G depuis l’attribution de la licence en Tunisie. On note même que la clé est en train de se substituer à l’ADSL. 38% des abonnements Internet haut débit sont ceux de la 3G. Pour moi, je peux vous dire que l’ADSL en Tunisie est, malheureusement, déjà fini. On va l’oublier pour bientôt. Surtout avec les quelques peu de lignes de cuivre disponibles».
Le soir, on utilise la 3G au lieu de l’ADSL
«Comment les Tunisiens utilisent-ils Internet ? J’ai entendu dire qu’on va créer des contenu e-health, e-gov, etc. Mais vous savez, les jeunes tunisiens sont comme tous les jeunes du monde. Les 3 premiers sites qui les s’interessent sont facebook, youtube, et Dailymotion», affirme-t-il.
En montrant un graphique de la consommation de la bande passante en Tunisie sur une échelle de 24h, cet expert international en télécommunication a constaté qu’il y avait toujours le même pic de consommation le soir. «Les clés 3G sont, donc, utilisées comme les lignes ADSL», fait-il remarquer.
«Je suis très très pessimiste pour la Tunisie. Vous êtes dans cette physionomie où l’Internet 3G Data va devenir, du moins dans quelques années, l’accès référence pour la large bande». Il évoque pour cela quatre raisons :
1- Un problème se pose avec le manque de capacité de la boucle locale cuivre. En effet, et d’après M. de Jacquelot, il y a aujourd’hui 1200 mille lignes fixes et quelques 500 ou 800 mille câbles non encore utilisés. «Si on sort faire un tour pour voir les immeubles qui sont en train de se construire aux Berges du Lac, et si on ouvre les tiroirs télécom, je suis sûr qu’on ne va pas trouver des câbles. Je pense qu’aujourd’hui aucun nouvel immeuble n’est câblé. C’est de la folie !», s’étonne-t-il.
2- Pas ou très peu d’investissements depuis de longues années dans le fixe c’est ce qui explique son état de stagnation.
3- Une politique TIC très orientée 3G Data. «Le prix d’accès ADSL est parfois plus cher qu’un accès 3G Data».
4- Le Bitstream qui ne décolle pas. «Où sont vos offres Bitstream ?», a interpelé M. de Jacquelot les représentants de l’INT et du ministère des TIC. «J’ai pris le temps de lire ce qui est appelé pompeusement l’offre de dégroupage de Tunisie Telecom. Il n’y a rien dedans ! Absolument rien ! Il y a seulement deux offres : dégroupage total ou partiel d’une ligne fixe déjà existante. Ah oui ? Et si c’est une nouvelle qui n’est pas créée ? Qu’est ce que je fais ? Et si j’ai une ligne Bitstream et que je veux la faire migrer vers le dégroupage ? Et si je voulais migrer de débit ? Et si je fais une faute (dans la procédure de demande dégroupage, ndlr). Pire : il n’y a pas d’informations sur les switchs. On a vaguement le numéro des switchs qui sont dégroupables. On ne vous donne pas leur nom ou le nombre d’abonnés dessus. On ne connaît pas leur empreinte territoriale. Et quid du service de qualité ? Et si ça tombe en panne, comment on fait ?».
Autant de questions qui sont, malheureusement, restées sans réponses. D’autant plus que le plus grand absent de cette table ronde était… Tunisie Telecom.
Revoir la politique de l’Etat dans le fixe et l’aménagement territorial
«Ca montre bien qu’il faut oublier l’ADSL et vous lancer à fond dans la 3G Data. Vous ne vous en tirerez pas autrement à court terme. Il faudra revoir entre temps la politique de l’Etat dans le fixe et l’aménagement du territoire», préconise-t-il.
Sur ce point, l’instance nationale des télécommunications (INT) a précisé que plusieurs scénarios sont à l’étude quant au développement de la large bande via le réseau filaire. Ainsi, le régulateur encourage les 3 opérateurs à installer et partager leur infrastructure de backhauling (réseau de distribution finale jusqu’à la maison/quartier de l’abonné). Notamment celle en fibre optique.
Et pour les zones éloignées, l’INT aura recours à la 4G (dont l’appel d’offre est actuellement en cours d’étude) afin d’éradiquer les zones blanches éloignées. Mais pour des raisons de coûts, le régulateur peut confier à chaque opérateur des zones blanches à couvrir ou utiliser un même réseau 4G mutualisé entre les 3 opérateurs dans ces zones peu rentables.
D’une façon plus générale, l’INT voit que l’activité commerciale dite “de détail” (pour le grand public et les professionnels) de Tunisie Telecom (et de tout opérateur réseau installé en Tunisie) doit être séparée de son département «Offre de gros». En d’autres termes, pour acheter de la bande passante nationale ou internationale, un fournisseur d’accès ou un opérateur tel que Orange ou Tunisiana ne sera plus obligé de contacter l’opérateur historique. Car le département qui gère le réseau national et international chez Tunisie Telecom, deviendra indépendant et neutre.
Cette approche a été soutenue par les professionnels des TIC présents dans la salle et notamment Ken Campbell, DG de Tunisiana : «Le réseau de distribution national et international de Tunisie Telecom est vraiment d’excellente qualité. Or, je ne peux pas leur demander de me louer quelques unes de leurs fibres. Ils sont mes concurrents. Et puis, leurs prix sont très chers. Autant tirer mes propres câbles !».
Mais encourager les opérateurs à installer leur propre fibre serait, d’après Claude de Jacquelot, «une perte de temps et d’argent car il y a plein de fibres optiques installées en Tunisie». A suivre.
Welid Naffati
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