«Il y a une ambivalence, parfois il y a la volonté politique pour la transformation digitale du pays et puis soudainement il y en a plus», a déclaré Mohamed Anouar Maarouf, ministre des TIC et de l’Economie numérique lors de la 37e édition des Journées de l’Entreprise organisée par l’Institut Arabe des Chefs d’entreprises (IACE) le 7 décembre à Sousse. «Le Président du gouvernement l’a dit hier, la moitié de son temps, il le passe sur le volet sécuritaire, l’autre moitié à chercher des solutions à des problèmes sociaux».
«On est encore dans le processus de la transformation politique. Le digital n’est malheureusement pas au cœur de la politique du pays», a ajouté M. Maarouf soulignant qu’ «en Estonie 25% du budget du ministère des Affaires étrangères était réservé à la digitalisation». «Chez nous par contre, on a eu beau à faire pour rendre le ministère des TIC transversal, mais en vain», a-t-il déploré.
Le Fond des Tic pour combler les trous du ministère des Finances au lieu de l’innovation
«En Tunisie, on continue à considérer les télécoms et les entreprises TIC en général comme des vaches laitières. S’il leur manque du budget (le ministère des Finances, ndlr) sur leur fiche Excel, il suffit d’un simple appuie sur un bouton pour qu’ils récupèrent 200 millions de dinars (le budget du Fond des TIC qui est la ponction de 5% sur les factures achats/téléphoniques et les chiffres d’affaires des entreprises télécom, ndlr)», a affirmé Anouar Maarouf.
«Or, en prenant ces 200 millions de dinars, on crée un trou dans le budget d’investissement dans les IT (opérateurs, sous-traitants, écosystème TIC, etc.). Si on y rajoute la sur-taxation des entreprises du secteur (lire notre article : Télécoms en Tunisie : le client paye jusqu’à 53% des taxes quand il utilise son téléphone), les investisseurs et entrepreneurs vont alors éviter de mettre leur argent dans les entreprises TIC optant ainsi pour d’autres secteurs d’activités non créateurs de valeurs ajoutées comme les telcos. Et pourtant on affiche comme slogan politique : la Transformation digitale du pays», a-t-il expliqué.
«Tout ça est causé par un manque de vision stratégique commune. Que voulons-nous devenir dans 20 ans ? Un pays leader en agriculture, en tourisme ou en technologie ? Il n’y a même pas de vision stratégique dans les programmes des partis politiques ! On est resté bloqué dans le modèle des années 70», a-t-il martelé.
La e-administration est déjà prête… techniquement, mais les autres bloquent
Anouar Maarouf n’a pas manqué l’occasion pour répondre aux critiques qui lui ont été indirectement adressées lors de la première journée de l’évènement : «Pour ce qui est de l’identifiant unique, je vous assure qu’il est prêt. Nous avons une base de donnée de 15 millions de noms, dont les personnes décédées. Le problème auquel nous sommes confrontés maintenant, c’est le moyen de faire la jonction entre ce que nous avons nous préparé dans notre ministère et les autres services des départements (les autres ministères et administrations de tutelle, ndlr) ».
«Comment sortir de ce mode de travail en silo où chacun dans son coin cogite et développe pour au final bloquer l’avancement du travail de l’autre département ? Il faut absolument avoir une vision partagée, une stratégie commune, une priorisation et une méthodologie de changement adossée à un budget», a avancé Anouar Maarouf.
«Nous sommes en fin de mandat, on espère que la prochaine équipe ne perdra pas de temps puisque beaucoup de projets ont été déjà lancés ou sont en attente de lancement (…) entre autres l’interopérabilité de l’inscription en ligne (des étudiants et élèves, ndlr) », a-t-il signalé ajoutant que son ministère « développait une nouvelle plateforme encore plus robuste et globale pour que le citoyen puisse s’adresser à n’importe quelle administration sans être dans l’obligation de ramener ultérieurement d’autres paperasses d’un autre service administratif».
«Si on veut donner un message un message fort pour booster la digitalisation de l’administration, il faut un leadership clair et fort (…), une vision commune et un programme commun appliqué par tout le monde !», a souligné Anouar Maarouf.
Projet de la carte biométrique bloqué par le Ministère de l’Intérieur et puis mystérieusement retiré du Parlement
«Vous voulez savoir pourquoi le projet de la carte d’identité biométrique a été bloqué en Tunisie alors que tout était déjà prêt techniquement ? Car il y a deux visions contradictoires et aucune partie supérieure n’a voulu faire l’arbitrage (la Présidence du Gouvernement, ndlr). L’Instance nationale de Protection des Données à caractère personnel (INPDP) a refusé que les empruntes digitales soient stockées sur une base de données (pour éviter les risques de piratage, ndlr), mais le ministère de l’Intérieur a émis son véto en conditionnant le lancement de la carte biométrique par le stockage de ces empruntes sous format digital. Devant cette situation de blocage, il fallait légiférer et une loi a été préparée et envoyée au Parlement. Mais le projet de loi a été soudainement retiré du Parlement et depuis… il n’y a plus rien !», a révélé le ministre des TIC.
«Est ce que cela veut dire qu’il faudra tout refaire ? Non ! Tout est techniquement prêt, il faudra juste homogénéiser et lier toutes les bases de données de tous les ministères. Je peux vous dire que nous avons préparé une solution technique pour ça et nous avons même prévu le budget pour le faire sur 2020 et 2021. Encore faut-il réserver plus de budget à tous les ministères afin de les outiller pour cette transformation digitale », a-t-il avancé.
Indice de digitalisation des entreprises tunisiennes de l’IACE : 3 sur 10
«Je voudrais terminer par un troisième point très important : Il est vrai que l’Etat doit faire sa transformation digitale, mais le secteur privé aussi ! L’IACE a présenté une étude sur le degré de maturité digitale des entreprises privées en Tunisie. Sur une échelle de 10 nous sommes à 3 ! », a-t-il noté.
«C’est pourquoi nous avons réservé dans le budget de 2020 une enveloppe de un milliard de dinars pour accompagner les PME dans leur transformation digitale ainsi qu’un programme appelé Startup Tunisia afin de renouveler la classe économique du pays à travers l’innovation, le digital et l’accélération de la transformation du marché tunisien», a déclaré Anouar Maarouf.
«Aujourd’hui, beaucoup de choses ont été déjà faites et sont en production. Il y a donc des réussites. Mais nous sommes conscient qu’il y a aussi des difficultés. Le plus grand challenge maintenant ? Trouver un leadership politique fort en faveur d’un changement pour que le digital soit au centre de la transformation du pays», a-t-il conclu.
Pour écouter l’intervention complète c’est ici.
Walid Naffati