Access Now et l’initiative #KeepItOn, qui a pour but d’unir et d’organiser l’effort mondial pour mettre fin aux coupures d’Internet (compte à ce jour 300 organisations de 105 pays du monde entier) ont publié en février 2023 une vue d’ensemble sur les coupures de l’accès à internet à travers le monde et leurs répercussions sur les populations ciblées.
Les coupures d’Internet (la perturbation intentionnelle d’internet ou des communications électroniques les rendant inaccessibles ou inutilisables) sont une pratique de plus en plus courante dans le monde entier, utilisée par les régimes autoritaires pour contrôler la diffusion de l’information et réprimer les dissidents. Ces coupures, qui peuvent durer plusieurs heures ou même plusieurs mois, ont des conséquences dévastatrices sur les citoyens ordinaires, qui sont privés d’accès à l’information, aux communications et aux services en ligne.
Ces pratiques sont souvent justifiées par les régimes autoritaires comme une mesure de sécurité nationale, invoquant des menaces terroristes ou des émeutes civiles. Cependant, dans de nombreux cas, les coupures sont en réalité utilisées pour étouffer la dissidence et réprimer les protestations politiques.
Aperçu global
En 2022, Access Now et la coalition #KeepItOn ont documenté au moins 187 coupures d’internet dans 35 pays. Un record en termes de nombre de pays ayant appuyé sur le bouton d’arrêt en une seule année. Même en mettant de côté les chiffres de l’Inde, un cas unique, 2022 a également été l’année où le nombre total de coupures a été le plus élevé dans le reste du monde. Les arrêts d’Internet ont connu un pic en 2022, dépassant même les niveaux pré-pandémiques (Un ralentissement des taux de coupures durant la vague de COVID-19 en 2020 a été constaté avec une augmentation en 2021) ainsi que le nombre total de coupures enregistrées depuis 2016, bien au-dessus de mille.
Les raisons des coupures
Coupures pendant les manifestations : en 2022, des manifestations ont éclaté dans le monde entier à la suite de la résurgence de l’autoritarisme, de l’aggravation des inégalités économiques et de l’intensification de la répression à l’encontre des groupes marginalisés.
Les autorités du Bangladesh, de Cuba, de l’Inde, de l’Iran, de la Jordanie, du Kazakhstan, de la Libye, du Myanmar, du Pakistan, de la Sierra Leone, du Somaliland, du Sri Lanka, du Soudan, du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan et du Zimbabwe ont imposé 62 coupures lors des manifestations en 2022.
Coupures pendant un conflit actif : des coupures dans le contexte d’un conflit en 2022 ont été imposées en recourant à diverses méthodes, telles que des coupures d’électricité prolongées au Myanmar et en Éthiopie, des frappes aériennes répétées ciblant des infrastructures civiles en Ukraine et au Yémen, ou des blocages de plateformes en Azerbaïdjan, en Arménie et en Russie. Les agresseurs ont effectué 33 coupures pendant des conflits actifs, renforçant la tendance alarmante de ces dernières années où les coupures d’internet fonctionnent comme une stratégie militaire délibérée.
Coupures pendant les examens : tout au long de l’année 2022, les gouvernements ont continué à imposer sans scrupule des coupures d’accès à Internet pendant les examens nationaux. Les autorités ont mis en œuvre huit ordres de coupures pour les examens, dans quatre cas en coupant de manière disproportionnée l’accès à Internet dans l’ensemble du pays (Algérie, Jordanie, Soudan, Syrie), et dans quatre autres cas en ciblant les coupures sur la région où se déroulent les examens (Kurdistan irakien, Assam et Bengale-Occidental en Inde).
Coupures pendant les élections : les élections continuent également à inciter les autorités à couper Internet ou à bloquer des plateformes ; cinq de cas de coupures en 2022 liées à des élections au Brésil, en Inde, au Kazakhstan, au Turkménistan et en Ouganda. Cependant, En 2022, on peut constater une légère diminution du nombre de coupures liées aux élections par rapport aux années précédentes (douze en 2019, dix en 2020, sept en 2021).
Les pays (et régions) concernés par les coupures d’Internet
Moyen Orient et Afrique du Nord :
Dans toute la région Mena, les autorités se sont de plus en plus appuyées sur les coupures d’Internet (37 coupures d’internet dans onze pays en 2022) pour réprimer la dissidence, saper la participation politique et protéger les auteurs d’atteintes aux droits humains de toute responsabilité. La région a vu à la fois l’émergence de nouvelles coupures et la poursuite des perturbations que les communautés endurent depuis des années, y compris les frappes aériennes au Yémen impactant l’infrastructure des télécommunications et le blocage des plateformes de médias sociaux à Oman depuis 2021.
En Tunisie : la Tunisie a mis en place un « shutdown » pour la première fois depuis la révolution de 2011, bloquant l’accès à Zoom et Microsoft Teams pour tenter d’empêcher l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) de se réunir virtuellement, après que le président a dissous le corps législatif. Le président Kais Saïed avait déjà décidé de suspendre le parlement le 25 juillet 2021, et la crise politique s’est encore aggravée le 30 mars 2022, lorsque 123 députés tunisiens ont tenté de participer à une session plénière en ligne. Après le blocage des deux plateformes, les députés sont passés à une autre plateforme en ligne, « GoToMeeting ». Le président Saïed a réagi en annonçant l’état d’urgence conformément aux dispositions de l’article 80 de la Constitution tunisienne, en limogeant le Premier ministre, et a dissout entièrement l’ARP.
Afrique centrale :
Bien que 2022 ait marqué un niveau record en termes de coupures d’Internet dans la région depuis 2016, l’Afrique abrite toujours la plus longue coupure actuellement active au monde dans le Tigré en Éthiopie (787 jours à la fin de 2022). Quatre des neuf coupures dans la région ont eu lieu parallèlement à des violations des droits humains signalées, à la fois dans le contexte de violentes répressions de manifestations et de conflits actifs. Les élections ont historiquement été un déclencheur important des coupures à travers l’Afrique, mais il y a eu relativement moins d’élections dans la région en 2022, et on constate une coupure de plateforme électorale en cours en Ouganda qui était en place depuis 2021.
L’Asie-pacifique :
La région Asie-Pacifique reste un champion mondial des coupures d’Internet (102 coupures dans sept pays), comme en témoignent les études de cas de l’Inde et du Myanmar, où les gens continuent de subir des niveaux stupéfiants de perturbations ciblées. Quel que soit le nombre total de coupures documentées, les habitants du Jammu-et-Cachemire en Inde et des régions de Sagaing et Magway au Myanmar (la plus longue coupure en cours qui a dépassé 540 jours en mars 2023) ont vécu une grande partie de 2022 avec des perturbations quasi-continues et une mauvaise qualité de service dans les rares moments de connectivité.
L’Europe de l’Est et l’Asie Centrale :
Alors que les pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale (EOAC) s’enfoncent davantage dans l’autoritarisme, les coupures d’Internet et la censure sont devenues de plus en plus courantes lors des manifestations et des élections (36 coupures dans huit pays). Durant la répression des manifestations à travers l’Asie centrale, les autorités ont militarisé les coupures d’Internet pour garder les gens dans l’ignorance et commettre des violations des droits humains en toute impunité.
L’Ukraine : la Russie a systématiquement ciblé les infrastructures civiles en Ukraine, tentant de briser la résistance populaire à l’invasion, de restreindre le flux d’informations et d’infliger des dommages aux communautés en représailles lorsque l’Ukraine a réussi à forcer les troupes russes à quitter les villes occupées. Ces tactiques ont causé des dommages dévastateurs, et au moins douze des 22 coupures recensées en Ukraine ont eu lieu parallèlement à des violations documentées des droits de l’Homme.
Amérique Latine et les Caraïbes :
Bien que la région de l’Amérique latine et des Caraïbes ait connu moins de coupures d’Internet en 2022 par rapport à d’autres régions (deux à Cuba et une au Brésil), un certain nombre de récidivistes se sont appuyés sur les coupures pour réprimer la dissidence, restreindre le flux d’informations et faire pression sur les médias sociaux pour qu’elles se conforment aux commandes du gouvernement. Les fermetures minent la capacité des gens à faire entendre leur voix, à participer au processus démocratique et à rester en sécurité et connectés pendant les périodes de troubles, et constituent une menace fondamentale pour les droits humains.
Myriam Souayah