«Bientôt, le sens de la critique de la personne sera confronté à la violence sentimentale et réactionnaire de la foule ainsi que les machines mafieuses de calomnie. L’ ”être” politique appelé ‘’le peuple’’, va dominer les consciences sans l’ ”être” philosophique de l’ ”individu” et sa transcription politique qu’est ”le citoyen”. Et ceux qui connaissent l’histoire, savent très bien que c’est une arme très puissante de démagogie pour casser les Etats. Facebook sera un outil pour détruire la Tunisie, la Libye et l’Algérie par leurs propres habitants et ce, grâce à la technologie de politisation de la colère et ”l’encadrement de la conscience”».
Ceci est un extrait du long statut Facebook qu’a publié Karim Bouzouita, docteur en anthropologie et spécialiste des médias, sur son mur juste après les résultats des élections législatives et du second tour de la présidentielle en Tunisie. Un statut très alarmiste et qui dresse un tableau très noir de ce qui nous attend dans un avenir proche et dont le point central est… Facebook.
Dans une ère où les algorithmes, notamment ceux de Facebook, sont en train de manipuler les masses, de rendre les fake news une vérité absolue non débattue et non contestée par les citoyens et où les partis politiques, voire même les systèmes politiques sont déstabilisés par des mouvements virtuels de foules, nous avons analysé ce phénomène avec l’auteur du statut, Karim Bouzouita, lors du 112eépisode de DigiClub powered by Topnet. Les résultats des dernières élections législatives et présidentiel en sont par ailleurs la preuve.
«Les fake news ne datent pas d’hier. Ce qui s’est passé lors de la guerre du Golfe en est un exemple», a tenu à préciser M. Bouzouita. «A l’époque, ce sont les médias, notamment CNN, qui ont réussi à ‘’vendre’’ à l’opinion publique la nécessité d’une intervention militaire US au Moyen-Orient. Après plusieurs années, l’opinion publique a fini par découvrir la supercherie et a, de ce fait, pris ses distances mettant ainsi en doute toute information qui passait sur cette chaîne».
Ce sens de la critique s’est, toutefois, vite dissipé avec l’arrivée des smartphones et des réseaux sociaux. La nouvelle génération qui a grandi avec le smartphone consomme, désormais, l’information sur ce device. Et c’est là qu’on note un changement radical dans la façon d’analyser l’information et la disparition du sens de la critique chez les individus. «Avant, on se permettait de dire que tel média véhicule de fausses informations. Maintenant, on ne se permet plus de douter d’un contenu partagé par un ami, un parent ou son conjoint, car il est difficile, sentimentalement parlant, de mettre en cause un proche», a expliqué Karim Bouzouita.
En d’autres termes, une information est jugée «vraie» de par la confiance qu’on accorde à la source, en l’occurrence, «le proche» ou «une personne de confiance». En Tunisie, nous en avons fait l’expérience à plusieurs reprises, notamment l’intox qui a circulé, en juin, sur les réseaux sociaux concernant le décès de feu Béji Caïd Essebsi, ancien président de la République tunisienne (à l’époque hospitalisé pour un malaise).
L’absence du sens de la critique est, par ailleurs, accentuée par la récurrence de l’information. Aujourd’hui, il est possible de créer une multitude de faux profils dont la mission est justement de véhiculer une information dans le cadre d’une campagne de propagande. Ces faux profils sont devenus quasi-indétectables pour Facebook. «Il existe un site sur lequel on peut créer une photo quasi réelle d’une personne qui n’existe pas grâce à un algorithme intelligent et ainsi leurrer les mesures de sécurité de Facebook. Si, en plus, le comportement de l’utilisateur est loin d’être robotique, il devient alors impossible à Facebook de considérer le compte en question comme ‘’faux profil’’», a affirmé Karim Bouzouita.
«Imaginons, maintenant, que trente faux profils partagent la même information sur un incident survenu dans une zone géographique pas loin de là où on habite. Là Facebook va automatiquement faire sortir cette information sur la timeline de l’utilisateur présent dans la zone en question vu la fréquence du partage. Cette information devient alors ‘’vraie’’ pour beaucoup de gens car elle s’est, simplement, répétée. Pour eux, la récurrence est une preuve de justesse. C’est ce qu’on appelle la preuve sociale», a-t-il ajouté.
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Walid Naffati