C’est au début des années 2000 que la problématique du passage à l’IPv6 a été posée. L’arrivée de la 4G en a fait une urgence et le lancement commercial de la 5G un impératif sans quoi les millions d’objets intelligents ne pourraient se connecter et fonctionner de façon optimale par manque d’adresses IP. Le stock mondial d’IPv4 arrive à terme. Ce protocole n’offre, en effet, que quelques quatre milliards d’adresses, alors que sa nouvelle version en fournit à l’infini ou presque. Selon le régulateur français, Arcep, l’IPv6 offre « 667 millions d’IP pour chaque millimètre carré de surface terrestre ».
Face à l’urgence, plusieurs pays – européens notamment – ont démarré la migration depuis des années déjà. La Tunisie qui était pionnière en la matière en effectuant ses premiers tests en 2003 via Attouniseya Internet (anciennement l’Agence tunisienne d’Internet/ATI) ne dispose, aujourd’hui, d’aucune adresse IPv6. Pourtant, de nombreuses formations sur le sujet ont été organisées, sans parler des ateliers et débats. Le dernier en date était celui organisé par le régulateur national, l’Instance national des télécommunications (INT) en 2018 en présence des acteurs du secteur des technologies de la communication. On avait alors tiré la sonnette d’alarme pour élaborer une stratégie nationale de migration vers l’IPv6.
Mais ce n’est que vendredi 4 février 2022 que le ministère des Technologies de la communication – dirigé depuis septembre 2021 par Nizar Ben Néji – s’est décidé à prendre le taureau par les cornes. Motif de ce retard ? Le manque de volonté politique nous dit-on du côté de l’ATI. En coulisse, on accuse aussi les opérateurs qui – selon certains – ne veulent pas mettre la main à la poche et investir puisqu’ils devraient encore faire danser les écus pour la 5G et avaient lourdement dépensé pour déployé la 4G. Un investissement que les opérateurs affirment ne pas avoir encore rentabilisé alors que certains experts assurent le contraire et indiquent que les dépenses sur la 4G avaient bien été amorties en comparaison avec les investissements alloués à la 3G.
Leurs roadmaps pour l’IPV6 sont, cependant, fin prêtes. Lors de l’atelier que le ministère des Tic a organisé au technopôle El Ghazala, Lassad Dhiab, Hatem Mestiri et Adel Akrout, CTOs de Tunisie Telecom, Ooredoo et Orange, respectivement, ont présenté chacun à son tour le plan de migration vers l’IPv6.
Tunisie Telecom devrait faire son premier test en mars pour valider ses solutions et ainsi être en mesure d’offrir ce service à ses clients MBB. Les équipements étant IPv6 ready, le déploiement devrait se faire rapidement une fois les tests concluants. Revenant sur le retard accusé, Lassad Dhiab a noté, dans son intervention, que la responsabilité était partagée. Il a noté, également, que cette transition vers l’IPv6 était plus culturelle que technologique faisant ainsi référence à la nécessité de sensibiliser le public cible au passage de l’IPv4 vers l’IPv6.
Ooredoo serait, lui, prêt en septembre avec une première phase de test avec un nombre limité de clients Mobile. Ceux-ci représentant le plus gros segment, aucune erreur ne doit entacher le processus, selon Hatem Mestiri. Celui-ci a fait savoir que la migration vers l’IPv6 impliquait la réalisation de trois chantiers : celui du fixe et du BtoB, celui du Mobile et enfin celui des applications et des sites visibles sur internet. Il a indiqué que Ooredoo a déjà réalisé un premier test réel en ADSL laissant ainsi entendre que sur ce segment l’opérateur était prêt.
Expliquant que tous les clients BtoB n’ont aucun souci technique et sont prêts à adopter l’IPv6, il a relevé que seuls 58% des téléphones connectés au réseau Ooredoo pourraient supporter l’IPv6. Il a ajouté que pour le parc 4G, 87% des téléphones peuvent supporter ce protocole, rappelant que certains constructeurs – Apple et Samsung, entre autres – doivent autoriser explicitement leurs téléphones à utiliser l’IPv6 même si ceux-ci sont compatibles avec ce protocole d’adressage.
Orange profite, lui, du poids du groupe international auquel il appartient. Selon Adel Akrout, l’antenne tunisienne est prête à servir ses clients une fois les équipements réceptionnés, le core du réseau Orange étant ready. Le CTO de l’entreprise a indiqué, dans ce sens, que 75% du parc Flybox étaient IPv6 ready, celui de la FixBox l’est à 100%, celui de l’ADSL et du Mobile le sont à 30%.
Mais qu’en est-il de la stratégie nationale ? Le plan élaboré par l’INT n’a toujours pas été validé, a-t-on appris en marge de l’atelier bien que d’autres acteurs du secteur, telle qu’Attouniseya Internet , sont prêts. Celle-ci a, d’ailleurs, endossé depuis le début des années 2000 le rôle de communicateur et de sensibilisateur pour ensuite tester l’IPv6 en 2003. En 2009, elle a travaillé sur la formation d’un comité stratégique pour le lancement de l’IPv6. Elle, également, a développé plusieurs solutions lui permettant de fournir des IPv6 et a signé en 2018 une convention avec l’African Network Information Center (Afrinic) devenant, ainsi, le premier centre de formation certifiante IPv6 accrédité.
L’Afrinic devrait, notons-le, fournir gratuitement des îlots IPv6 dans le cadre d’une approche incitative à l’adoption de l’IPv6.
Nadya Jennene