La cinquantaine, style déluré, la langue bien déliée, un langage à mourir de rire et une adoration sans limites de Beji Caid Essebsi et de son «Appel de la Tunisie» (Nida Tounes). C’est en ces quelques mots qu’on peut décrire la nouvelle star du facebook tunisien. Se nommant Monjia Jlabet (aucune preuve que ce soit son vrai nom), cette dame est devenue en l’espace de quelques semaines la chouchou des facebookeurs tunisiens quelle que soit leur orientation politique. La raison principale de cet engouement virtuel pour ce personnage ? Ses fautes de français et ses déhanchements devant la caméra que quelques facebookeurs ont immortalisé dans une vidéo montage.
Au fil des vidéos, on découvre une Monjia caricaturale : chuchotant parfois, criant d’autres, chantant, dansant, jurant férocement contre la Troïka gouvernante et surtout Ennahdha, idolâtrant Essebsi et ses compères. En l’espace de quelques semaines, Monjia Jlabet a su attirer un large public qui scrute désormais chaque jour sa page facebook à la recherche d’une nouvelle perle.
Aussi caricatural qu’elle, le mari de Monjia Jlabet est entré, lui aussi, sur la scène facebookienne en prêtant main forte à sa femme dans son combat contre les islamistes. «Man Antom ?» (qui êtes-vous ?), s’écrie-t-il sur cette vidéo où il accuse le parti islamiste de vouloir détruire la Tunisie moderniste. Mais contrairement à sa femme, et dans un discours peu structuré, il montrera son soutien infaillible à la famille de gauche et notamment à la principale centrale syndicale du pays, l’UGTT.
Seul but : se venger d’Ennahdha
On l’a bien compris, le couple «Jlabet» est à fond anti-Ennahdha et chacun d’eux a son front de combat. La première est avec Nida Tounes, le deuxième avec l’UGTT. Du moins… sur la vidéo. On entendra en effet la voix de Mme «Jlabet», derrière la Webcam en train de souffler à son mari les phrases de son «discours». Ce n’est que vers la fin de la vidéo qu’on voit réapparaitre Monjia Jlabet manipulant l’ordinateur pour lancer l’upload de la vidéo sur Youtube. Visiblement novice en matière d’Internet, la fameuse Monjia a oublié d’arrêter l’enregistrement et on l’entend dire à son mari «j’espère qu’on ne m’a pas entendu».
A chaque sortie vidéo, cette Monjia Jlabet ne rate jamais une occasion pour s’attaquer à Rached El Ghannouchi. Elle accuse ouvertement le chef spirituel d’Ennahdha de lui avoir tourné le dos à un moment critique de sa vie où elle avait besoin de lui (et de tout son parti) après «qu’on lui a tout volé», dixit ses paroles.
Alors ? Cette Monjia Jlabet, n’est-elle qu’une simplette aux tendances exhibitionnistes ? Ou cache-t-elle vraiment un secret gênant pour Ennahdha ? Et de ce fait, son profil facebook n’est-il pas, en fin de compte, qu’un faux dans le but de décrédibiliser son image ?
Un leak des mails de Hammadi Jebali, secrétaire général d’Ennahdha et actuel Chef du gouvernement, tend à nous faire croire à la 2ème hypothèse.
«Rendez-moi ma fille»
«Je me suis épuisée afin d’ ‘arracher’ le dictateur déchu après avoir enduré le cambriolage de ma maison, le vol de mes bijoux, de mon argent et après mon arrestation au palais qui a duré une journée entière, etc. pour que l’on parvienne grâce à Dieu à cet heureux renouveau et mes dossiers sont actuellement chez la Commission d’enquête et tous les cercles gouvernementaux et aucun parmi vous ne connait tous les mouvements du Président déchu comme je les connais et Dieu Merci, j’ai réussi», lit-on sur l’un des leaks (traduction Olfa Riahi). Puis j’ai rassemblé des groupes autour de moi pour vous soutenir et vous élire, avec optimisme. Aujourd’hui, après que Leila m’ait administré du poison (que Dieu vous en préserve), je subis des complications sans égales… Le plus étrange dans l’histoire, c’est que le Ministère de la Santé lorsqu’il comptait à sa tête Mondher Znaidi – qui planifiait pour les opérations suicide de Kasserine et pour la dissimulation des armes etc etc à compter du 12 et 17 jusqu’au 22 – s’est vengé de moi en me refusant les soins à l’étranger et au sein des cliniques de la capitale et ils ont cessé de me fournir les médicaments. Ils ont également refusé de ramener les médicaments en provenance de la France…».
Dans ces leaks, Monjia Jlabet s’appelle réellement Monjia Ben Aissa. En faisant une recherche sur Google, on tombe sur son vrai profil facebook où la dame s’exprime beaucoup plus aisément en français avec très peu de fautes d’orthographe. Une recherche plus poussée nous fait découvrir un Canal à son nom sur Youtube où elle diffuse ses vidéos très critiques envers Ennahdha depuis plus de 2 mois. Sur l’une d’elles, elle menace Rached Ghannouchi de révéler des secrets avec des preuves à l’appui. «Redonnez-moi mon argent et la fille que vous m’avez volés ou sinon je vais tout divulguer», menace-t-elle.
On notera également que Monjia continue toujours à poster ses vidéos sur son Canal Youtube malgré le fait que son compte facebook n’est plus actif depuis le 12 juillet. C’est alors qu’une deuxième recherche sur Internet nous fait découvrir un deuxième profil au nom de Monjia Ben Aissa qui est plus sécurisé (il faut être ami avec elle pour voir son contenu) et qui a été ouvert le 14 juillet, soit deux jours plus tard.
Pourquoi Ennahdha accorde-t-il de l’importance à Monjia ?
Cette Monjia Jlabet, de son vrai nom Monjia Ben Aissa, aurait pu rester un simple «baladin» du Net. Son style, ses difficultés de prononciation -parfois très manifestes quand elle est sous l’emprise de l’émotion-, ne lui donne guère de crédibilité. Surtout avec le faux profil de Monjia Jlabet où elle se fait tourner en dérision.
Mais vu ses deux mails envoyés à Ennahdha -qu’un certain Larbi forwarde à chaque fois à Hammadi Jebali, Ali Laarayedh (actuel ministre de l’Intérieur) et Rached Ghannouchi en personne-, on ne peut que s’interroger sur le mystère qui entoure Mme Ben Aissa, alias Monjia Jlabet. Si elle est vraiment «zinzin», pourquoi le secrétariat général d’Ennahdha lui accorde-t-il autant d’importance ?
De ce fait, le faux compte Monjia Jlabet n’est-il pas, en fin de compte, qu’une manipulation de la part de personnes proches d’Ennahdha qui veulent faire taire Mme Ben Aissa en décrédibilisant son image sur le Net ? Ou sommes-nous, tout simplement, en face d’une opportuniste qui cherche par tous les moyens à se faire connaître, quitte à s’allier à Ennahdha dans un premier temps, puis en l’attaquant par son militantisme pour Nida Tounes quand le parti islamiste lui a tourné le dos ?
Il ne demeure pas moins vrai que cette dame est devenue l’attraction des Facebookeurs tunisiens, qui l’ont même surnommée Jalila Brik, en référence au célèbre activiste Jalel brick, connu pour son langage très cru.
Seif Eddine Akkari