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Rachat Go Malte par Tunisie Telecom: pourquoi et est-ce vraiment nécessaire ?

Depuis l’annonce de Tunisie Telecom que son offre a été retenue pour le rachat de l’opérateur historique de Malte «Go», les critiques ne cessent de fuser de partout avec, parfois, un zeste de mauvaise foi à des fins purement politiciennes (lire cet article de BusinessNews). Loin des querelles politiques où chaque parti tente de salir la réputation de la partie adverse (à la veille des élections municipales de mars prochain) et ce, en voyant le mal partout et en politisant n’importe quel dossier économique, voire technologique, nous avons choisi de nous poser la question sur la vraie utilité de ce rachat. Est-ce vraiment une bonne stratégie ?

Tout d’abord, il faut savoir que Go Malte est l’opérateur historique de Malte. Certes, mais c’est une entreprise privée puisque elle est détenue à 60% par le dubaïote EIT et le 40% restant est coté en bourse. Il est leader sur l’Internet (51% de parts de marché) et fixe (66% de parts de marché) avec plus de 200 mille clients (sur un parc global de 500 milles), mais est 2ème sur le mobile (39% parts de marché) après Vodafone Malte. Go a déjà plusieurs services à valeur ajoutée pour son réseau Data, notamment la 4G (qui est mature) comme l’IPTV ou les applications de e-commerce/e-facturation ou même les services administratifs en ligne. Il dégage, annuellement, environ 10 millions d’euros de bénéfices NET. Go Malte possède aussi un cablo-opérateur (FAI) à Chypre et quelques actions dans un opérateur téléphonique en Grèce. Par ce rachat, Tunisie Telecom mettra, donc pied, dans 3 pays européens.

Ceci veut dire que Tunisie Telecom pourra bénéficier des synergies directes avec le marché européen et sa régulation (comme les achats groupés, le prix de la bande passante Internet, les prix préférentiels du roaming appliqués au sein de l’Union Européenne). Sans parler du fait que Tunisie pourra exploiter les Data Center de Go Malta pour ses solutions Cloud et être aux normes internationales (avoir un backup sur une autre zone géographique). Avec les prix pratiqués en Europe, Tunisie Telecom pourra, donc, mieux négocier ses prix pour la Tunisie. Ce qui impliquera, logiquement, une réduction notable du prix des communications et notamment l’Internet. Chose que Tunisie Telecom ne peut pas le faire actuellement vu son poids très limité sur le plan international.

Sortir de la Mauritanie avec peu de casses 

En effet, Ooredoo Tunisie et Orange Tunisie sont adossés à des groupes telco puissants à l’échelle internationale vu leur présence dans plusieurs pays avec des millions de clients. De ce fait, ils ont un poids considérable dans les négociations (achat du matériel de chez les équipementiers, des handsets, des appels internationaux à prix de gros dont le roaming, ou encore le prix de Mégabit). Il faudra, de ce fait, rappeler, que Ooredoo et Orange ont inauguré en 2014 leur propre câble sous-marin Didon, mettant fin, ainsi, au monopole de Tunisie Telecom sur les liaisons internationales.

Mais au lieu d’aller vers le Nord, pourquoi Tunisie Telecom n’a pas cherché plutôt à investir en Afrique, là où il y a le plus grand potentiel de développement et croissance? La réponse : Tunisie Telecom est déjà en Afrique avec une filiale en Mauritanie qui est l’opérateur de téléphonie mobile Mattel. Seulement voilà, cet opérateur se porte très mal. La raison ? Des règlements de compte entre un des coactionnaires de Mattel et le pouvoir en place qui tournent carrément au sabotage. Tunisie Telecom s’est trouvée, ainsi et malgré elle, dans une guerre. Sa tentative de sortie de Mattel en vendant ses parts pour 100 millions de dollars (de 2011 à 2013) s’est soldée par un échec. Pire encore, en 2014 et toujours à cause des tensions entre le pouvoir mauritanien et l’un des coactionnaires (surtout après le putsch militaire de 2008), Mattel a failli perdre sa licence qui arrivait à expiration. C’est grâce à des interventions de très haut niveau que cette licence a été renouvelée.

Mais que fait EIT dans tout ça ? EIT est l’entreprise filiale de Dubaï Holding, spécialisée dans l’investissement dans le secteur des telcos. Durant les années 2000, Dubaï Holding a cherché à s’investir, en effet, dans ce secteur prometteur. Ce groupement a multiplié les acquisitions (Go Malte, Interoute en UK, Création de l’opérateur téléphonique Du aux Émirats, etc.). Le rachat des 35% du capital de Tunisie Telecom en 2006 lui a permis de mettre un pied aussi en Mauritanie. Mais Dubaï Holding s’est vite aperçu que l’industrie des télécommunications n’est plus comme avant. En effet, les opérateurs téléphoniques ne sont plus, surtout depuis 2010, des vaches à lait à cause des services IP, comme la VoIP, l’IPTV etc. Toute l’industrie est en train de migrer vers un nouveau business model où Dubaï Holding n’y trouvait plus son compte. Du coup, elle s’est mise à se débarrasser de ses investissements via EIT, pour se recentrer sur d’autres secteurs à fort potentiel de gain (énergie, etc.).

Rachat Go Malte par Tunisie Telecom: pourquoi et est-ce vraiment nécessaire ?

Le non de Slim Chaker et du gouverneur de la BCT

Mais l’appel d’offre de EIT pour vendre ses parts chez Tunisie Telecom en 2013 s’est soldé aussi par un échec, surtout avec les conditions exigées par l’Etat tunisien au nouvel entrant pour ne pas reproduire la même erreur (lire notre article). Résultat : Tunisie Telecom se retrouve dans une situation qui n’est pas du tout confortable. Une filiale mauritanienne en difficulté et un environnement concurrentiel très fort en Tunisie où même son monopole sur le fixe a été perdu.

En rachetant Go Malte, et avoir ainsi une présence à Chypre et en Grèce, Tunisie Telecom souhaite, donc, se valoriser comme opérateur «européen» du sud de la méditerranée. Mais n’y-a-t-il pas une sorte de conflit d’intérêt lorsque Tunisie Telecom rachète les actions de son partenaire à Malte ? L’opération s’est faite dans la transparence totale selon les règles du marché européen, surtout que Go Malte est cotée en bourse. Du côté de la Tunisie, il semble que ça soit peu probable aussi qu’il y ait anguille sous roche vu que c’est la Carep (Commission d’assainissement et de restructuration des entreprises publiques) qui a donné son feu vert.

D’après nos sources internes à la Carep, les experts ont délivré un rapport favorable à ce rachat au président du gouvernement. Et sur les 15 personnes présentes dans la commission (composé notamment par des ministres), 10 ont exprimé un avis favorable contre 5. Parmi ces 5, le ministre des Finances Slim Chaker et le gouverneur de la banque centrale. Leur argument majeur ? «La sortie de devises». Car l’opération coûtera 177 millions d’euros remboursables sur 5 ans.

Car même si Go Malte remboursera directement une partie de cette dette (à raison de 6 millions d’euros annuellement et qui correspondent aux 60% rachetés), Tunisie Telecom payera le reste de ses recettes internationales (notamment le roaming). Certes, TT est une entreprise anonyme et ni le ministère des Finances ni le gouverneur de la banque centrale n’ont un droit de regard dessus, mais ces deux derniers ont tiqué sur le flux de devises sur les 5 prochaines années. C’est la raison pour laquelle ils ont émis un avis défavorable.

Les Emiratis veulent quitter la Tunisie 

D’après nos sources, la position de ces deux entités ont convaincu le président du gouvernement Habib Essid. Mais son refus était difficile à exprimer. Pourquoi ? Car Tunisie Telecom est une entreprise anonyme. De plus son ministre des TIC et de l’Economie numérique, Noomene Fehri, a soutenu fortement ce rachat ainsi que le ministre de l’Énergie et des Mines Mongi Marzoug, dont l’avis pesait aussi lourdement dans ce dossier. La raison ? Il était l’ancien ministre des TIC de 2011 à janvier 2014 après une longue carrière chez le groupe Orange. Il connaît, donc, le secteur des TIC comme sa poche.

Du côté de EIT, ce rachat de Go Malte par son actionnaire majoritaire chez Tunisie Telecom est un mouvement stratégique bénéfique. D’un côté, EIT se désengage de 3 pays supplémentaires en un seul coup. D’un autre côté, elle valorise le groupe Tunisie Telecom (l’opérateur TT et Mattel). Le but final c’est de remettre encore une fois ses 35% à la vente, mais cette fois ci, avec l’espoir de vendre à un prix meilleur. Une pierre, deux coups ! Et ce n’est pas ça qui déplaira au syndicat des salariés qui n’arrête pas de manifester son souhait de voir partir le partenaire émirati qui, d’après ses dires, n’a «apporté aucune valeur à l’entreprise».

Certes, l’Etat tunisien avait la possibilité d’aider EIT à sortir du capital de TT quand son appel d’offre a été déclaré infructueux. Comment ? En cédant 16% supplémentaire avec l’appel d’offre de EIT. Mais ne voulant pas reproduire la même erreur de Tunisiana et tout le capharnaüm que ça a créé à l’époque lors de son rachat à 90% par Qatar Telecom (Ooredoo maintenant), l’Etat a donc joué la carte de la neutralité dans ce dossier. Il a laissé le Conseil d’administration trouver les meilleures solutions possibles pour l’intérêt des deux parties.

Mais l’ouverture du capital de Tunisie Telecom au privé a été encore une fois remise à l’ordre du jour lors du dernier Conseil Ministériel Restreint (CMR) présidé par Habib Essid et consacré au nouveau statut de Tunisie Telecom. Le CMR a, en effet, donné son feu vert pour que TT entame les études nécessaires qui évalueront la meilleure introduction possible de l’entreprise sur la bourse de Tunis (les opportunités, le timing, la valorisation, le pourcentage, etc.). Ces études vont également se prononcer sur le pourcentage du capital qui pourrait être ouvert aux salariés de TT. Ces derniers deviendront ainsi des coactionnaires.

Introduction en bourse pour ne pas reproduire l’erreur «Tunisiana»

Finalement, le CMR a validé le nouveau statut de TT et l’a fait passer au Parlement pour qu’il soit étudié en commissions avant son passage au vote à la plénière. Dans ce nouveau statut, Tunisie Telecom continuera son programme de départ volontaire à la retraite anticipée (lire notre article) et proposera deux types de contrat. Le premier d’un fonctionnaire simple en CDI et le deuxième en CDD. Avec le 2ème type de contrat, Tunisie Telecom aura la possibilité de proposer la même grille salariale de ses concurrents du privé. Ainsi, celui qui souhaite avoir un meilleur salaire et afin de se préserver des sorties massives de ses employés vers la concurrence, Tunisie Telecom leur offrira le contrat CDD basé sur les objectifs et non la durée.

Quant à l’officialisation du rachat de Go Malte, Tunisie Telecom devra attendre encore 2 mois environ selon la législation maltaise. Ce moratoire donne la chance aux autres prétendants de faire une contre-offre financière plus intéressante. Et sur ce point, il faudra savoir que 3 parties ont manifesté leur intérêt au rachat de Go : un groupement d’hommes d’affaires maltais, l’opérateur télécom du Bahreïn Batelco et Tunisie Telecom. Le dossier du groupement a été éliminé vu qu’il n’a pas trouvé une banque d’affaire solide pour la transaction. La course s’est alors limitée à Batelco et TT qui ont déposé pratiquement la même offre financière. EIT a alors préféré Tunisie Telecom pour les raisons qu’on a évoqué quelques lignes plus haut. Notons que l’offre de TT est devenue engageante. C’est à dire que TT n’a plus le droit de se rétracter au risque de payer de très lourdes amendes selon la législation européenne. Ceci étant dit, Tunisie Telecom a réussi à inscrire dans le contrat préliminaire de l’achat une clause appelée «Penalty Fees». C’est  à dire que EIT s’engage à rembourser entièrement les frais entreprises par TT dans ce processus d’achat (les études, les déplacements pour Malte, etc.) si l’offre de TT n’est pas retenue durant le moratoire.

Cette année 2016 est cruciale dans la vie de l’opérateur historique Tunisie Telecom. Son nouveau positionnement en Europe, sa prochaine entrée en bourse, son nouveau statut ainsi que la prochaine sortie de EIT de son capital avec la probable entrée d’un nouvel actionnaire d’envergure internationale sont des évènements majeurs qui vont permettre à TT de prendre, enfin son envol. A condition que le dialogue soit entamé avec les salariés pour qu’ils ne se sentent pas perdus dans cette grande mutation qu’observe leur entreprise.

Welid Naffati

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