«Je suis désolé, mais si nous sommes dans cette situation où ça bloque sur plusieurs niveaux, notamment sur le e-paiement et le m-paiement, c’est à cause de vous ! Vous ne pouvez pas venir ici et nous proposer de travailler ensemble sur une feuille de route pour le développement de l’économie digitale pendant que vous êtes en charge de ce volet depuis plusieurs années. Si vous n’êtes pas aptes à le faire, alors laissez le privé s’en charger !».
«Je suis désolé, mais si nous sommes dans cette situation où ça bloque sur plusieurs niveaux, notamment sur le e-paiement et le m-paiement, c’est à cause de vous ! Vous ne pouvez pas venir ici et nous proposer de travailler ensemble sur une feuille de route pour le développement de l’économie digitale pendant que vous êtes en charge de ce volet depuis plusieurs années. Si vous n’êtes pas aptes à le faire, alors laissez le privé s’en charger !».
C’est avec ces phrases assassines que s’est adressé Kaies Sellami, président de la Fédération Nationale des TIC (organe syndical chargé du secteur IT, rattaché au patronat tunisien), à Nizar Alaya, Chargé des grand projets auprès du Chef du gouvernement chargé de la coordination et du suivi des affaires économiques, et à Chiheb Bouchnak, sous-directeur de l’Unité e-Gov au sein de la présidence du gouvernement. C’était lors de la clôture du dernier Workshop organisé au siège de l’UTICA le vendredi 6 mai dernier sous le thème «e-gov : concrètement ?», en marge du Salon ICT4B.
Et la frustration du président de la fédération a bien raison d’être. La Tunisie n’arrête pas d’accuser du retard en matière d’économie digitale. Un retard qui fait perdre au pays les opportunités qui s’offrent à lui pour devenir un vrai hub technologique. Sans parler de son impact sur l’économie nationale. Mais pendant que le secteur privé s’impatiente, le gouvernement, lui, prend tout son temps pour réformer faisant perdre, par la même occasion, des millions de dinars de bénéfices aux entreprises tunisiennes.
Le ministère de la justice se numérise
Dans sa présentation, Amira Bejar, DGA de ST2i -une entreprise qui se charge actuellement d’informatiser deux entités publiques : la SONEDE et le ministère de la justice-, a estimé pour sa part que l’état du e-Gov en Tunisie est toujours en-deçà par rapport à ce qui est attendu. Mais en même temps, elle ne se fait pas d’illusion car l’opération s’avère, du moins pour les tribunaux, très compliquée pour informatiser tout le processus. Surtout pour la création d’une base de données pour l’ensemble des affaires judiciaires. Le challenge s’avère donc plus difficile à trouver cette architecture d’archivage efficace des données plutôt que d’informatiser techniquement une administration publique.
Nizar Bouguila explique que Tunisie Telecom est prête à accueillir le Cloud National
De son côté, Tunisie Telecom est venue mettre en valeur son infrastructure technique. Après tout, si on veut parler de e-Gov, il faudra déjà parler d’espace de stockage et d’échange de données. Or, dans un temps où tout est en train de migrer vers le Cloud pour faire des économies, le gouvernement ne peut, de ce fait, s’amuser à casquer des millions de dinars du contribuable pour acheter de nouveaux serveurs afin d’y héberger les services Internet et Intranet de chaque administration.
«Nous avons déjà un nouveau Data Center à Carthage et un autre de ‘Disaster Recovery’ à Kairouan (pour garantir la disponibilité des données, ndlr)», a annoncé Nizar Bouguila, directeur central technique chez Tunisie Telecom. Cet investissement est prêt à accueillir le Cloud National pour, justement, faire basculer l’Etat tunisien dans le e-Gov à moindre frais et dans les plus brefs délais.
Un e-Gov sans e-payment, ça n’a pas de sens
Mais on ne peut parler de e-Gov sans qu’il y ait une connexion solide entre l’administration et le Data Center. «Il y a maintenant 125 administrations seulement qui sont connectées (sur environ 5000 établissements, ndlr). Certes, il y a des ministères qui avancent par rapport aux autres comme c’est le cas avec le ministère de la Santé. Mais on reste encore loin du compte», a-t-il rajouté. Pour M. Bouguila, le travail ne s’arrête pas non plus à fournir une connexion haut débit (en fibre optique ou en ADSL). La connexion doit, en effet, être multiservices. Et parmi ces services : la sécurité.
Kaies Sellami, président de la Fédération nationale des TIC (UTICA)
Un autre point tout aussi important : le e-payment. «Les services entre administration et citoyen sont transactionnels. On paye des frais pour extraire un papier ou préparer un dossier. Dans le e-Gov, le paiement se fait électroniquement. Techniquement, nous sommes prêts. Le problème réside plutôt dans la législation tunisienne (comme la e-facture, etc., ndlr)», a-t-il conclu.
A noter que le projet de raccordement des administrations publiques au réseau IPMPLS (fibre optique et connexions redondantes hautement sécurisées), est actuellement au stade initial (pour ne pas dire zéro) puisque l’ancien ministère a souhaité que les opérateurs téléphoniques privés ooredoo et Orange mettent la main dans le cambouis aux côtés de TT, histoire de gagner du temps. Mais les choses n’ont clairement pas évolué depuis.
Les 7 milliards DT de la caisse de compensation pour financer les TIC ?
Pour le député à l’Assemblée Nationale Constituante, Noomen Fehri -qui est d’ailleurs intervenu dans le Workshop en sa qualité d’expert en TIC-, la Tunisie a «tous les éléments du puzzle, mais il reste seulement la volonté pour les arranger et former le bon cadre». Il a ainsi expliqué qu’il faut absolument avoir un CIO (Chief Information Officer) plus qu’un DSI (Direction système d’information) de l’Etat pour faire avancer l’assemblage de ce puzzle. Or ce «DSI» de l’Etat est en cours de création et sera rattaché directement à la présidence du gouvernement. Ses décisions n’attendront pas, de ce fait, la validation d’un quelconque ministre.
«On sait où on va. On est tous conscients qu’on ne va pas assez vite, voire on régresse», a alerté Noomen Fehri. «Avec les séminaires de Tabarka et de Korba, on a donné un coup de pied dans la fourmilière». Dans ces deux séminaires le secteur privé et le secteur public se sont enfermés pendant 2 jours afin de mettre en place un plan d’exécution pour impulser l’économie numérique. Et dans ce plan, on ne trouve qu’un des points défendus : la connectivité pour tout le monde. Or, c’est grâce aux tablettes, ordinateurs et Smartphone que le Tunisien pourra utiliser les services e-Gov, voire carrément lancer son propre projet sur le Web.
Noomen Fehri, député à l’ANC et expert en TIC
«Nous dépensons chaque année 7 milliards de dinars dans la caisse des compensations avec une déperdition de 30% à cause des personnes qui ne sont pas réellement nécessiteuses», a-t-il rajouté. «Si on prend seulement 2 milliards de dinars pour connecter tous les Tunisiens, nous pourrons impulser l’utilisation des TIC dans la vie de tous les jours». Pour ce député d’Afek Tounes, il suffit de créer l’infrastructure et faciliter l’accès au Net pour que les gens se connectent. Quant au contenu, il viendra nécessairement après. Et pourtant, sur le Net, ce contenu existe déjà.
Connecter les Tunisiens avec des tuyaux vides ?
Mais pour les plus nécessiteux, investir dans une connexion Internet (même si elle est à bas prix) et puis dans un ordinateur ou une tablette, reste encore un luxe qu’ils ne peuvent se permettre si c’est juste pour consommer du Facebook ou du Youtube. Et c’est justement là le vrai problème des TIC en Tunisie.
Les Data Centers ? On commence à en avoir à gogo. La fibre optique ? En veux-tu, en voilà. La 3G ? Elle couvre pratiquement toutes les zones peuplées de la Tunisie. Les tablettes et ordinateurs ? Ils n’ont jamais étaient aussi disponibles à bas prix grâce aux «Made in China». Si on n’incite pas à la création du contenu numérique dédié à la population tunisienne, le citoyen ne verra aucun intérêt à avoir du 1, 20 ou même du 100 Mb/s puis un gadget hitech juste pour partager un statut ou une vidéo.
Pis : la Tunisie souffre d’un grand problème de e-réputation. La majorité absolue des développeurs (sites Web, applications, etc.) ne font guère confiance à la Tunisie pour héberger leur contenu (lire cette interview). De ce fait, à quoi bon de créer du contenu qu’on héberge à l’étranger si au final le gouvernement paie encore plus chère sa bande passante en devises ?
Welid Naffati
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