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Tunisie – Carte d’Identité Biométrique : Bond technologique ou outil de surveillance en masse ?

Le débat sur la Carte d’Identité Biométrique est revenu dernièrement en force, à l’occasion de la proposition du projet de loi 62 de l’année 2016 qui régit la mise en place de ce projet énorme qui représente une certaine évolution technologique indéniable. Néanmoins, plusieurs alertes ont été levées, notamment en matière de données personnelles. Mais en quoi cette carte pose vraiment problème ?

La commission des droits et des libertés a invité, vendredi 9 juin, le ministre de l’intérieur, Mehdi Mahjoub, pour exposer le projet de loi 62/2016 qui régit la Carte d’Identité Biométrique. Le ministre a donc exposé les grandes lignes de ce projet devant la commission, notamment certains détails techniques et procéduraux relatifs à cette carte, qui est voulue comme étant une extension du projet de l’identifiant unique. Parmi les déclarations du ministre à ce sujet, nous avons noté, de manière particulière, le fait que le Ministère obtienne une photographie numérique pour chaque citoyen, permettant une identification plus rapide en cas d’utilisation des caméras de surveillance, les données qui seront mises en place dans cette carte et son utilisation.

Seulement, ce sont précisément ces déclarations qui portent controverse. Chawki Gueddes, président de l’Instance Nationale de Protection des Données Personnelles, et dont la voix s’était déjà élevée précédemment contre les aspects légaux liés à cette carte (Voir Interview Digiclub), s’est prononcé contre les mesures draconiennes de la CIB, qui risqueraient de porter grandement atteinte aux données personnelles des citoyens. En effet, le professeur en droit constitutionnel a exprimé clairement son refus aux déclarations du ministre lors de cette séance, qui comportaient des détails qui n’étaient pas clairement référés dans le projet de loi. En l’occurrence, le fait d’obtenir des photographies numérisées de chaque citoyen pour des besoins liées à l’identification par vidéo surveillance. Or la vidéo surveillance n’étant pas encore régie par une loi, cette brèche législative peut porter grandement atteinte à la vie privée. De plus, M. Gueddes s’étonne sur la volonté du Ministère de l’Intérieur, appuyé par ceux de la Finance et de la Justice, pour garder l’adresse postale sur la carte d’identité. Cette information n’est pas jugée pertinente, étant donné qu’elle n’a qu’un but sécuritaire.

La crainte de M. Gueddes est donc le fait que cette carte, censée faciliter la vie du citoyen sur tous les plans, est devenue plutôt un outil de surveillance en masse qui, de surcroit, ne garantit aucunement la protection des données personnelles. Pire encore, le fait que cette carte soit cryptée, et que toute tentative de décryptage est punie par 5 ans d’emprisonnement contribue à alimenter le débat. En effet, le Ministère de l’Intérieur ne peut garantir l’accès à aucune autorité, y compris l’INPDP, pour un contrôle sur le fonctionnement de cette carte, à cause de l’article 53 de la loi 2004 qui régit la protection des données privées. Personne ne garantit la cohérence ou l’existence de données, aucun organisme ne peut contrôler la véracité des données de cette carte, tous ces éléments contribuent à considérer cette carte, non pas une carte universelle qui faciliterait la vie des Tunisiens, mais plutôt un élément d’ordre uniquement sécuritaire. Ceci a d’ailleurs été confirmé par le ministre lors de son intervention, qui avait clairement indiqué que le 1er but de cette carte était la lutte contre le terrorisme et le crime. Ce projet tant prometteur transformerait-il le Ministère de l’Intérieur en une sorte de NSA, avec toutes les atteintes à la vie privées liées ? Wait and See.

Seif Eddine Akkari

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