Les importateurs et les grands assembleurs d’électroménager et de téléviseurs en Tunisie broient du noir depuis un peu plus d’une année. Un sentiment de haine contre le gouvernement s’est substitué à l’espoir d’un avenir meilleur. La cause ? Le marché parallèle…
Les importateurs et les grands assembleurs d’électroménager et de téléviseurs en Tunisie broient du noir depuis un peu plus d’une année. Un sentiment de haine contre le gouvernement s’est substitué à l’espoir d’un avenir meilleur. La cause ? Le marché parallèle.
Vendredi dernier, Karim, un jeune importateur de téléviseurs et de produits bureautiques, nous a donné rendez-vous au Souk Moncef Bey. «J’ai tenu à vous voir ici pour vous montrer l’ampleur des dégâts».
10h30. Karim nous fait visiter une première boutique se trouvant au carrefour du Souk Moncef Bey. Un endroit très animé puisque la majorité des voitures venant de la banlieue sud passent juste à coté. Sur les étalages, essentiellement des téléviseurs Samsung 40 pouces, dont la dernière génération Smart.
– “Combien coûte cette télé ?” demande-t-il en pointant du doigt une télé LED Samsung 40EH5000.
– “Celle-là 1100 dinars et celle qui est juste au-dessus 900 dinars”, lui répond le vendeur.
– “Je suppose que la plus chère a été assemblée en Tunisie et l’autre vient d’Algérie. N’est-ce pas ?”
– “Exactement. Mais vous savez, monsieur, les produits qu’on importe d’Algérie sont bien meilleurs que ceux qu’on a ici en Tunisie.”
– “Y a-t-il une garantie pour que je puisse la réparer en cas de panne ?”
– “Nous ne donnons pas de garantie car ces téléviseurs ne tombent pas en panne en moins de 2 ans”, intervient le propriétaire de la boutique. “Cela fait 2 ans que je vends les télé Samsung et je peux vous assurer que jamais on est revenu ici pour la réparer.”
– “Mais dans le cas où ça arrive, que dois-je faire ?”
– “Si ça nécessite le changement d’un composant, genre d’opération qui coûte environ 20 dinars, on la répare gratuitement. Sinon on renvoie la personne vers un réparateur de confiance qu’on connaît pour que ça soit fait à votre charge. Sachez que nous notifions ça à tous nos clients. Mais comme je vous l’ai dit, personne n’est revenu ici après l’achat de son téléviseur. Notamment ceux qui ont acheté les Samsung venus d’Algérie.”
Question prix de la Smart TV de Samsung, là encore le prix s’avère plus bradé que ceux qu’on trouve dans la grande distribution : 1300 dinars contre 1700 au super marché Carrefour. Mais trouvons-nous ces mêmes prix partout dans le Souk ? «Suivez-moi, vous allez le découvrir par vous-même», nous répond Karim.
10h40, dans une deuxième boutique située dans une rue pas loin de la première, à peine Karim a-t-il commencé à reluquer la marchandise qu’un vendeur est venu l’assister. Entre les Toshiba 46 pouces et les Samsung 40 pouces, Karim a fini par demander le prix de ces dernières. «870 dinars et je vous donne la garantie d’une année avec !»
11h05, nous entrons à l’intérieur de l’un des deux grands entrepôts de Moncef Bey, devenus de grands espaces où les vendeurs se sont organisés, avec leurs marchandises, en rayons spécialisés. Les téléviseurs et leurs accessoires à la porte d’entrée. Les électroménagers, un peu plus au fond.
Dans l’un de ces rayons, un vendeur vient de déballer de son carton un grand écran Samsung de 46 pouces et s’apprête à le tester pour un nouveau client. «Vous n’allez pas le regretter monsieur. C’est un excellent produit qui nous vient des pays scandinaves». Nous nous sommes permis de nous immiscer dans la conversation pour demander au vendeur les spécificités techniques qui font de ce téléviseur un excellent produit. «C’est un téléviseur HD qui intègre un récepteur/décodeur numérique. Toutes les chaines cryptées, notamment celles d’Aljazeera Sport, y fonctionnent sans problème. On peut aussi lire des films HD directement via une clé USB. Vous savez, chez les scandinaves on ne joue pas avec la qualité et l’innovation».
Et pourtant en vérifiant l’étiquette de derrière, ainsi que celles de plusieurs autres téléviseurs Samsung chez ce vendeur, on lit clairement Made in Malaysia. Sans commentaire…
«En temps normal, les produits importés de l’Asie sont soumis à des droits de douanes de plus de 40%», nous susurre Karim. «Bien évidemment c’est de la contrebande et donc cette taxe n’a pas été payée».
Toujours d’après ce vendeur, ce type de téléviseur est un succès en Tunisie depuis le début de la Coupe d’Afrique des Nations. Son prix ? 1800 dinars. Un peu plus au fond du Souk, un autre vendeur a mis en avant ses réfrigérateurs Samsung. «Celui-là coûte 1000 dinars. Il est 200 dinars moins cher que ce que vend la maison Al Athir (une société tunisienne qui assemble les produits Samsung en Tunisie, ndlr). De plus elle est vendue avec la garantie de la Maison Al-Athir».
Le tour du Souk s’est terminé vers 11h30. «Vous voyez ? A peine une heure et nous avons dejà vu des prix 200 à 300 dinars moins chers que ce qu’on trouve dans le circuit normal. Et avec la garantie en plus !», commente Karim avec une grimace exprimant le dégoût. «Avant sous Ben Ali, il y avait deux ou trois vendeurs connus qui collaboraient avec les Trabelsi et vendaient moins cher que tous les autres.
Ces hors-la-loi bénéficiaient d’une impunité qui leur permettait de faire ce qu’ils voulaient. En cas de panne, le client ne devait pas s’attendre à ce que le SAV soit garanti. Mais après la fuite de Ben Ali, tout le monde s’est mis à importer moins cher leurs produits d’Algérie.
Mais vous savez que les prix ici sont encore plus chers que ce que vous trouvez dans les gouvernorats limitrophes avec nos voisins de l’ouest ? Ce même téléviseur Samsung 40 pouce, par exemple, est carrément vendu à moins de 800 dinars à Jendouba».
Mais les malheurs de Karim ne s’arrêtent pas là. Avec l’entrée en vigueur de la loi de finances 2013, notre jeune entrepreneur s’est trouvé à payer une taxe douanière supplémentaire dès la première semaine de janvier 2013 : 5% pour la préservation de l’environnement. «On a pas été informé à l’avance de cette taxe», nous affirme-t-il.
«Quand nous passons commande auprès du constructeur étranger, nous fixons la quantité sur la base des précommandes de nos clients. Notamment les enseignes de grande distribution. L’une d’elles a même préparé son catalogue en se basant sur le prix que nous lui avons déjà communiqué deux mois auparavant. Du coup, j’ai dû payer de ma poche cette hausse aussi inopinée que subite de la TVA. J’ai perdu 100 mille dinars dans cette affaire. Là je ne sais pas comment je vais garder les douzaines de salariés qui travaillent avec moi.
«Le pire dans cette affaire, est que quelques sociétés informatiques en Tunisie se sont mises à acheter ces produits du marché parallèle. Le comble de l’histoire est qu’ils les vendent au client avec la TVA classique de 12 ou 18%. Bien évidement, cette TVA ne sera pas versée à l’Etat puisqu’elle (l’enseigne, ndlr) devra justifier l’origine du produit. Je vous laisse imaginer la marge de bénéfice qu’ils se tapent sur le dos du pauvre consommateur tunisien».
Le regard creux, Karim marqua un moment de silence entrecoupé par des soupirs. «Avant, nous n’avions qu’une famille Trabelsi qui nous pourrissait la vie. Maintenant, tout le peuple est devenu des Trabelsi. Le silence du gouvernement et son laxisme le rendent complice de ces crimes. Franchement, je commence à regretter Ben Ali. Je ne sais plus quoi faire. Dois-je moi aussi me transformer en un Trabelsi pour survivre après cette maudite révolution ?»
Welid Naffati