Après Smart Tunisia et les Startups tunisiennes, il existe un autre volet encore plus grave qui peut faire tomber tous les plans de relance économique à l’eau. Car il existe bel et bien un risque qu’un entrepreneur étranger ou tunisien se retrouve sous les verrous à cause de son business… et/ou de sa vie personnelle.
Dans le code pénal tunisien promulgué en 1913 par «Mohamed En Nacer Pacha Bey, Possesseur du Royaume de Tunis», et publié dans le JORT n°79 du 1er Octobre 1913, il existe, en effet, des articles dits “délaissés”. Et on assiste ces jours-ci, stupéfaits, à la résurrection de ces articles par les juges. A l’instar d’un mécanicien du sud tunisien qui a inventé une mini fusée de 5 kms de portée. Il s’est photographié avec, l’a partagé sur facebook en dédiant son invention à l’armée nationale qui combat le terrorisme et s’est retrouvé en prison pour «fabrication d’engins explosifs sans autorisation». Il a été inculpé sur la base d’un article de loi qui date de… 1894 !
Si ce cas a été très médiatisé, il y en a d’autres qui le sont moins. A l’instar d’un jeune de Beja qui a eu le malheur de créer un drone dans le cadre de son Projet de Fin d’Etude. Il s’est retrouvé par la suite arrêté par la police au Gorjani. C’est le cyberactiviste Anis Guiga qui en a parlé dans un récent statut facebook. Il a pu côtoyer ce jeune pendant son arrestation par la police en Ramadan dernier, quand il était traduit devant la justice pour «atteinte à la pudeur publique pour détention d’alcool». Et à ce sujet, l’article 317 du code pénal stipule : «Sont punis de 15 jours d’emprisonnement et de 4,8 DT d’amende ceux qui servent des boissons alcooliques à des musulmans ou à des personnes en état d’ivresse ; ceux qui se trouvent sur la voie publique ou dans tout autres lieux publics dans un état d’ivresse évidente».
En d’autres termes, un investisseur étranger (ou même tunisien) après quelques verres dans un bar ou dans un hôtel, peut se faire arrêter par un policier zélé, même s’il marche dans la rue (donc pas au volent de sa voiture) et se faire emprisonner pendant 15 jours pour état d’ébriété.
Fouilles de SMS et toucher rectal
Même chose à propos de l’article 230 de ce même code pénal qui date du début du 20ème siècle (1913). Un article composé par cette seule et unique phrase : «La sodomie, si elle ne rentre dans aucun des cas prévus aux articles précédents (c’est à dire le viol, NDLR), est punie de l’emprisonnement pendant trois ans». Même s’il est difficile de prouver cet acte de «sodomie» (mis à part que le couple soit pris ‘la main dans le sac’), on a assisté dernièrement à l’inculpation d’un jeune de 22 ans après que la police a fouillé dans ses SMS dans une affaire de meurtre de laquelle il a été innocenté. Pour prouver «scientifiquement» la sodomie, un médecin légiste a fait un touché anal au jeune et a confirmé l’accusation (voir ce lien). Une aberration judiciaire comme on en a rarement vu après la chute du régime despotique de Ben Ali. On aura beau à crier sur tous les toits que ces lois sont contraires à la nouvelle constitution, mais les politiciens au gouvernement et au Parlement font la sourde oreille.
Et pour cause : les Tunisiens s’apprêtent à voter, pour la première fois de leur vie, pour choisir les maires de leurs villes. Les élections cantonales sont en effet prévues pour fin 2016. Dans une société hypocritement conservatrice comme celle en Tunisie, le sujet de l’homosexualité reste un des plus grands tabous. Plus tabou que la virginité des femmes. Quoi que la cause féminine soit devenue maintenant un argument électoral pour les partis qui souhaitent grignoter quelques points sur les intentions de vote des femmes tunisiennes. Entre temps, les viols, arrestation et harcèlement des homosexuels continuent en Tunisie dans l’indifférence totale de ces politiciens. Pire encore : On en voit quelques uns qui sortent dans les médias ou sur leur pages facebook demandant plus de rigueur pour combattre «ce phénomène des mécréants».
De ce fait, et à la lumière de cet encouragement -parfois tacite, parfois explicite- de la sphère politique tunisienne à persécuter les homosexuels, il sera, donc, normal qu’un Chef d’entreprise étranger ouvertement gay sur sa page facebook, vienne en Tunisie dans le cadre du projet Smart Tunisia et se retrouve en prison à cause de l’article 230. Toujours «grâce» à cet article 230 «tant aimé» par certains de nos politiciens, si un jour Tim Cook, le PDG d’Apple, visite la Tunisie, notre chère police républicaine pourra l’arrêter pour «Sodomie». Certes, il est toujours possible que la police ferme les yeux sur ces étrangers typés caucasiens (blancs aux yeux bleus), mais il y a toujours un risque que cette accusation de «Sodomie» soit doublée d’une discrimination raciale.
Loi 52 : Ou comment réprimer légalement les éléments qui gênent
Faut-il encore rappeler l’incident diplomatique que nous ont causé quelques policiers à l’aéroport de Tunis Carthage qui ont violenté un diplomate sénégalais avec son fils ? Jusqu’à aujourd’hui, et sauf erreur de notre part, aucune information n’a filtré sur un arrêt de travail de ces policiers suite à une enquête sérieuse. L’affaire a été, vraisemblablement, vite étouffée renvoyant une image exécrable de la Tunisie aux yeux des investisseurs étrangers qui, à l’époque, ont eu peur de se rendre chez nous. Surtout ceux qui ont le teint basané. Et là il faudra, probablement, apprendre à nos chers policiers qu’il y a des hommes et des femmes étrangers de couleur et qui sont très haut placés dans des grandes entreprises dont le Chiffre d’Affaire dépasse même l’entier budget de l’Etat tunisien !
La liste de ces aberrations dans le code pénal tunisien est encore longue. On citera par exemple cette maudite loi 52 (consommation de cannabis) dont des milliers de jeunes ont été incarcérés à cause. Le dernier à y passer ? Un fameux rappeur tunisien connu par ses textes virulents envers le gouvernement : Klay BBJ. En sortant de chez lui pour se rendre à son concert à Hammamet, ce dernier s’est fait interpelé par la police et a été accusé de consommation de stupéfiant (voir ce lien).
Votre site de e-business peut vous faire ôter votre liberté civile
Dans l’article 226 bis, on peut lire, également : «Est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de mille dinars quiconque porte publiquement atteinte aux bonnes mœurs ou à la morale publique par le geste ou la parole ou gène intentionnellement autrui d’une façon qui porte atteinte à la pudeur.
Est passible des mêmes peines prévues au paragraphe précédent quiconque attire publiquement l’attention sur une occasion de commettre la débauche par des écrits, des enregistrements, des messages audio ou visuels, électroniques ou optiques».
En d’autres termes, si vous ouvrez un projet de vente en ligne, basé en Tunisie, où parmi les produits que vous mettrez sur votre site, on verra de la lingerie féminine, des sextoys et/ou des lubrifiants, vous risquez 6 mois de prison, au grès du ministère public et des juges, bien entendu !
Dans un pays où le citoyen et les visiteurs étrangers n’ont pas de garantis pour leur intégrité physique à cause des lois liberticides qu’on refuse d’abroger par petit calcul politiciens, on ne peut parler d’incitation à l’innovation et d’investissement dans l’économie numérique ou d’économie tout court.
En ayant quelques personnes qui se croient au dessus de la loi car ils détiennent un peu de pouvoir (allant du corps de la police jusqu’aux juges) et qui agissent en tout impunité, tous les programmes de relances économiques ne vaudront absolument rien. A bon entendeur.
Welid Naffati
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