Le juge Mokhtar Yahyaoui, l’un des plus célèbres dissidents de Ben Ali sous son régime, a été récemment nommé à la tête de l’Instance nationale de protection des données à caractère personnel (Inpdcp). Pourquoi le gouvernement a-t-il créé cette instance maintenant et à quoi sert-elle ? «Qui vous a dit que l’Inpdcp est récente ?», questionne M. Yahyaoui. «Elle existe depuis 2006. C’est juste qu’on ne la voyait pas. Sous Ben Ali, elle était loin d’être indépendante. De plus, sous le despote, on ne respectait pas la confidentialité des données personnelles. On les utilisait plutôt pour faire chanter les dissidents au régime».
Nommé par le ministre de la justice Noureddine Bhiri, M. Yahyaoui aura pour tâche maintenant de réformer l’Inpdcp afin d’augmenter son indépendance vis à vis du pouvoir en place. Et pour cause : l’Inpdcp devra contrôler le gouvernement dans son utilisation des données qui concernent ses citoyens. «Si les services de sécurité, par exemple, récoltent des informations sur des personnes pour les exploiter après dans des tentatives de chantage ou d’intimidation, là l’Inpdcp aura son mot à dire», nous explique le juge Mohktar Yahyaoui.
Le nouveau président de cette instance affirme également que les sociétés privées et même les personnes physiques doivent se soumettre à l’autorité de cette instance. «Si vous voulez diffuser, par exemple, votre certificat de naissance sur Internet, c’est votre droit. Mais si quelqu’un le diffuse à votre insu, là aussi l’Inpdcp peut intervenir et appliquer la loi sur le contrevenant».
Le siège de l’instance à El Menzah à Tunis
Et quid des fournisseurs d’accès Internet et des opérateurs ? Ils connaissent tout sur nous : nos IP, nos mails, les sites qu’on visite, etc. Que va faire l’instance pour nous assurer qu’ils ne vont pas exploiter ces données à des fins malsaines ou les vendre dans un but commercial à l’instar des sociétés d’e-mailing ? «Chaque entreprise basée en Tunisie, doit avoir l’aval de l’Inpdcp quand son activité demande la récolte des données personnelles», rétorque-t-il. «Il y aura donc une obligation juridique qui les forcera à respecter la confidentialité de ces données».
M. Yahyaoui a quand même avoué que la loi qui régit son instance est un peu dépassée. Elle a été en effet créée en 2002, c’est à dire à une époque ou l’Internet en Tunisie n’était pas aussi diffus qu’il est aujourd’hui. «Or tout est devenu numérique maintenant», fait-il remarquer. «Mais au fait, il n’y a pas que l’Internet quand on évoque le respect de la vie privée. Même au sein de l’entreprise, il y a parfois des dérives dans l’utilisation, par exemple, des caméras de surveillance. Figurez-vous que nous avons reçu une plainte de la part d’un salarié car la direction le surveille durant toute la journée de travail via une caméra qui enregistre tous ses mouvements et même ses conversations».
M. Yahyaoui nous a par la suite expliqué que si une société doit installer un matériel de surveillance, elle n’a pas le droit d’installer des micros avec.
Avec la numérisation de toutes les données, la tâche de l’instance concernant la protection des données à caractère personnel risque d’être très difficile, si une réforme de l’instance ne se fait pas rapidement. Encore faut-il que l’Etat accorde à l’Inpdcp toute son indépendance, même si c’est l’argent du contribuable qui la finance.
Mais la question la plus importante est la suivante : l’Etat sera-t-il prêt à protéger l’Inpdcp dans le cas où l’instance du juge Mokhtar Yahyaoui oblige le ministère de l’Intérieur à déclarer ses archives ?
Welid Naffati
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