Reporter sans frontières (RSF) a sorti le 12 mars son classement annuel des pays ennemis d’Internet. Bien qu’elle n’y figure plus depuis la chute de Ben Ali, RSF place tout de même la Tunisie dans la catégorie «Pays sous surveillance». Selon cette ONG, la liberté d’expression en Tunisie est en effet loin d’être acquise. Elle demeure fragile car le retour au filtrage et au flicage du Net n’a pas complètement disparu.
«La chute du dictateur Ben Ali avait laissé espérer la disparition d’Ammar 404, le système de censure mis en place par l’ancien régime. Ce dernier pourrait cependant renaître de ses cendres suite à une série de décisions judiciaires sur le filtrage, alors que la situation de la liberté d’information reste fragile dans le pays», explique RSF dans son dernier rapport. «Si la liberté de ton est réelle, les nouvelles lignes rouges restent d’actualité. Le blog Nawaat a d’ailleurs désigné la justice comme le nouveau fer de lance de la censure qui devient moins politique mais plus morale et religieuse».
Reporters sans frontières a ainsi évoqué l’affaire d’un avocat à Médenine, Maître Mabrouk Korchide, qui a déposé trois plaintes contre des facebookeurs et bloggeurs les accusant de diffamation après avoir publié et/ou commenté un communiqué envoyé par des personnes hostiles à sa nomination au poste de conseiller du gouverneur.
«Le blogueur Riadh Sahli est poursuivi pour “diffamation” sur Internet suite à la simple reprise, sur sa page Facebook Medenine informative, d’un communiqué envoyé par des manifestants. Youssef Fillali, simple citoyen ayant commenté cette publication, est également poursuivi par Maître Korchide pour “diffamation”», rapporte RSF. «Le procès, premier procès en diffamation de l’ère post-Ben Ali, qui devait se tenir le 22 février, a été reporté au 14 mars. Par ailleurs, l’avocat poursuit également un autre blogueur de Médenine, Marwane Athemna, pour “diffamation” et “diffusion de tracts” portant atteinte à sa personne».
«Le cas de Riadh Sahli démontre que la loi est muette sur la responsabilité des médias en ligne alors qu’un régime de responsabilité spécifique au Web s’avère indispensable», souligne le rapport 2012 des ennemis d’Internet sur le cas de la Tunisie.
Reporters sans frontières a également tiré la sonnette d’alarme sur le possible retour de Ammar 404 par le biais de la justice : «La première alerte a sonné en mai 2011. Le tribunal militaire permanent de Tunis a alors ordonné la censure de cinq pages Facebook. L’Agence tunisienne d’Internet (ATI) décidant de jouer la transparence a rendu publique la liste des sites concernés.
Le tribunal de première instance de Tunis a ordonné, le 26 mai 2011, le blocage de sites à caractère pornographique par l’ATI, suite à une plainte déposée par des avocats estimant qu’ils présentaient un danger pour les mineurs et ne convenaient pas aux valeurs musulmanes du pays. Une décision que l’ATI a promis de combattre. Reporters sans frontières s’est entretenue, en juin 2011, avec le président de l’ATI, Moez Chakchouk, qui a réaffirmé que l’agence se revendique neutre et transparente et refuse de poursuivre le filtrage. Son appel ayant été rejeté en août 2011, l’ATI s’est pourvu en cassation. Le 22 février 2012, la cour de cassation a cassé le jugement sur le filtrage des contenus à caractère pornographique et renvoyé le procès en appel».
Le rapport 2012 sur les libertés sur Internet de RSF s’est même montré alarmant pour ce qui concerne la Tunisie et conclut : «Reporters sans frontières s’inquiète du retour à des pratiques de l’ère Ben Ali et craint que le filtrage de ces sites, dont la définition demeure incertaine, ne soit le prélude à la censure élargie. Le filtrage généralisé s’inscrit en contradiction avec la neutralité du Net et les valeurs de liberté d’expression prônées par la Commission pour la réalisation des objectifs de la révolution et la transition démocratique». A bon entendeur.
W.N
Laissez votre commentaire sur le forum