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Tunisie : Une guerre à couteaux tirés entre laïcs et islamistes sur facebook

Une manifestation organisée par des islamistes, dimanche 25 mars après-midi sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis, a fait le buzz chez les Facebookeurs tunisiens. La raison ? La scène surréaliste de quelques salafistes habillés en qamis afghan qui ont escaladé la grande horloge du centre ville de Tunis pour brandir du haut de ses 32 mètres le drapeau noir de “La Ilaha Ella Allah”.

Avec leur habituel humour décalé, plus communément appelé “Tanbir”, les facebookeurs tunisiens, et notamment les plus laïcs d’entre eux, n’ont pas manqué l’occasion pour tourner en dérision ces militants venus d’un autre temps. Mais là où le Tunisien excelle, ce sont sur les photos montages/photoshopés satiriques.

On citera à la volée celle de Spiderman assis par terre visiblement abattu par la nouvelle. Au dessous, un commentaire qui dit qu’il compte se suicider après avoir vu les barbus de l’horloge lui voler la vedette. Sur une autre, on voit d’un coté l’image des salafistes escalader l’horloge et sur l’autre, la fameuse scène de King Kong au sommet de l’Empire State Building de New York. D’autres ont poussé leur imagination encore plus loin, en greffant sur l’image, au top de la tour, quelques bananes. Et on peut lire en dessous : «Salafeya, kharrej el kerd elli fik» (Salafisme, faites sortir le singe qui est en vous).

Cette scène a donc fait les choux gras des pages qui se déclarent ouvertement anti-Ennahdha (le mouvement islamique au pouvoir depuis les élections du 24 octobre dernier) et anti-salafistes. Mais bizarrement, cette scène était aussi sujette de moquerie des pages ‘conservatrices’ qui ne se cachent pas de défendre le projet d’islamisation de l’Etat. La page Tunisie_تونس_Tunisia (la 2ème plus grande page du pays avec 915 milles fans), par exemple, a fortement critiqué ces salafistes, qui, selon son administrateur, ont écorné l’image de l’Islam. Il a même commencé son plaidoyer par «C’est quoi ces tortues ninja ?».

Quant aux pages qui versent dans la théorie du complot et la surenchère au nom de l’islam, elles n’ont pas arrêté de se féliciter à propos de la réussite de la manifestation. Quitte à déformer des réalités. Comme le nombre des participants (ne dépassant pas réellement les 1500 personnes) et ce, en publiant une photo vue-de-haut de la manifestation citoyenne du 20 mars dernier (11 mille personnes) comme étant celle de la manif pro Charia.

Plus tard dans la journée, les vidéos issues de la manif n’ont pas tardé à faire changer le ton de plusieurs pages (laïques et islamistes modérés). Qu’est ce qu’on y voit ? Des incitations à tuer les juifs tunisiens ainsi que l’ancien premier ministre Beji Caid Essebsi. Des appels au djihad en passant par les agressions contre les artistes venues célébrer sur l’artère principale de la ville la journée du théâtre (pourtant autorisée par le ministère de l’intérieur depuis plusieurs semaines). Les laïcs ont alors tiré la sonnette d’alarme en relayant l’info au delà de nos frontières. Quant aux islamistes modérés, ils ont commencés à prendre un peu plus leur distance des salafistes en condamnant fermement de tels propos.

Dans cette ambiance électrique et fortement envenimée par les extrémistes, l’annonce du parti Ennahdha, en début de soirée, est venue jeter un pavé dans la mare des pro Charia. Peu après 20h, le mouvement islamique affirme avoir décidé de garder le premier article de la constitution de 1959 et consolide, ainsi, la dimension civile et non religieuse de l’Etat.

Une telle annonce a eu l’effet d’une bombe sur les pages islamistes. Une décision qui les a fortement divisées. Celles qui sont pro gouvernement, et Ennahdha en particulier, se sont subitement calmées en changeant le sujet, ou en soutenant cette décision en la qualifiant de “sage”. Volte-face dites-vous ?

D’autres, par contre, sont parties dans un délire hystérique en menant des campagnes de dénigrement et de diffamation contre ce mouvement islamique et le Cheick Rached Ghannouchi en particulier.

La division parmi les Tunisiens sur Internet est aujourd’hui l’expression d’un profond malaise qui touche les citoyens dans leur vie réelle. Tout à fait à l’image de la mauvaise gestion de la troïka du pays, et d’Ennahdha en particulier. Un malaise que les citoyens trouvent du mal à exprimer dans la rue. Mais qui arrivent à l’extérioriser sur Internet. Heureusement d’ailleurs !

Mais soyons réalistes. Internet, et facebook en particulier, ne peuvent jouer pour longtemps le rôle de défouloir des frustrations, peurs et rage des Tunisiens. Cet empoisonnement de l’ambiance générale du pays dont Ennahdha est complice, sans parler de la volonté de pourrissement de ses détracteurs, risque de faire déborder ce malaise de ses confins virtuels pour se déverser dans la rue, bientôt. Gare aux éclaboussures.

Seif Eddine Akkari

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