100 000 000 dinars de perte sur une année. C’est le chiffre qui ressort de l’analyse des coûts du fixe de Tunisie Telecom et son retour sur investissement. L’Instance Nationale des Télécommunications (INT) vient en effet de terminer l’audit des états de synthèse de l’opérateur historique pour l’année 2010. Ce rapport vient donc confirmer ce que beaucoup de spécialistes s’attendaient à voir : les frais d’entretien du réseau fixe de Tunisie Telecom sont extrêmement élevés par rapport au prix de la redevance que payent les abonnés à ce service.
Que la branche fixe de TT soit déficitaire n’est pas une surprise en soi. Mais c’est le montant de cette perte que le régulateur et le monde des télécoms redoutaient le plus. Mais en quoi ce montant peut-il affecter le secteur des TIC en Tunisie et impacter négativement la concurrence ?
Doit-on payer la redevance ?
Partout dans le monde et avant l’ouverture de la boucle locale à la concurrence, une longue période de transition doit être entamée par le régulateur des télécoms du pays. Elle consiste tout d’abord à calculer le coût réel d’entretien du réseau fixe de l’opérateur historique, son retour sur investissement et estimer ces données pour les années à venir, surtout après l’ouverture du secteur à la concurrence.
Quand un opérateur historique ouvre sa boucle locale, il loue en réalité sa fibre de cuivre (ou sa fibre optique) à l’opérateur tiers pour que ce dernier puisse y passer les services qu’il souhaite commercialiser à ses clients (téléphonie fixe, téléphonie sur IP, Internet, TV via Internet, etc.). Dans ce cas, l’opérateur historique devient un simple opérateur réseau qui propose le support de connexion. Sa responsabilité se réduit uniquement à l’entretien technique et aux opérations de maintenance en cas de coupure du service.
Le montant de location de la fibre doit, bien entendu, couvrir ces frais. Ce montant sera par la suite facturé par l’opérateur propriétaire de la fibre (généralement l’opérateur historique) à son concurrent. Economiquement parlant, c’est la base du dégroupage, du Bitstream et de l’ADSL nu (une technologie où l’opérateur supprime l’accès analogique pour ne garder que l’ADSL). Dans le cas d’une ligne fixe classique, ces montants (frais d’accès au réseau de téléphonie fixe filaire) sont facturés à l’abonné sous le nom de «redevance télécom».
Quand l’opérateur réseau ouvre sa boucle locale à la concurrence, l’entité de régulation du pays l’oblige à proposer un prix de location moins cher que le prix de la redevance. Cette marge est nécessaire à l’opérateur tiers pour bâtir un business modèle prospère. Résultat : une concurrence s’installe sur le fixe et la qualité de service primera. Que du bénef pour les consommateurs, donc.
Le dégroupage et la VoIP, ce n’est pas pour demain la veille
Jusque là, pas de problème. Seulement voilà, dans le cas de Tunisie Telecom et d’après les audits des états de synthèse du fixe de 2010, ce prix de redevance est déjà très en deçà par rapport au coût réel d’accès au réseau du fixe.
Tous les pays qui ont ouvert leur boucle locale à la concurrence ont augmenté progressivement le prix de la redevance. C’est ce qu’on appelle le rééquilibrage. Cette opération prend parfois plusieurs années pour ne pas impacter négativement l’économie du pays (taux d’inflation, etc.).
Pour le cas de la Tunisie, ce plan était déjà prévu depuis 2010 et une première augmentation était programmée à partir de janvier 2011. La chute de Ben Ali, la longue période d’instabilité politique du pays ainsi que les mouvements sociaux qui ont secoué Tunisie Telecom pendant presque six mois, ont retardé l’entrée en vigeur de cette nouvelle tarification.
Un an et demi après, Tunisie Telecom a décidé de passer à l’acte avec la bénédiction du gouvernement. Une opération nécessaire, mais loin d’être suffisante.
20 millions de dinars récupérés
Depuis le 1er juillet dernier, les abonnés grand public du fixe sont appelés à payer 4 dinars par mois au lieu de 8 dinars par trimestre (soit 2,6 dinars par mois dans l’ancienne facturation). Notons que pour les prépayés, 10% seulement du montant de la recharge était prélevé par TT au titre de la redevance.
Quant aux professionnels, ils doivent désormais payer 6 dinars par mois au lieu de 8 dinars par trimestre. Mais ce que beaucoup ne savent pas, est que ce plan de tarification a été modifié par rapport à 2010. Tunisie Telecom comptait en effet relever la redevance à 6 dinars/mois pour tout le monde, grand public (clients prépayé inclus) et professionnels.
Grâce à cette augmentation, Tunisie Telecom pourrait estomper ses pertes de 20 millions de dinars (à peu près). Faut-il alors comprendre que pour rétablir l’équilibre financier de la branche fixe de TT, il faudrait multiplier par 5 le prix de la redevance ?
Un vrai casse tête chinois
Du côté de l’INT on préfère ne pas répondre à cette question dans l’immédiat. Les marges sont en effet d’une telle énormité que le régulateur ne peut trouver seul le meilleur scenario pour faire passer les indicateurs au vert.
L’Instance a donc préféré patienter jusqu’à ce que l’audit des états de synthèse du fixe de TT pour l’année 2011 soit dévoilé. Les résultats sont attendus d’ici fin de l’automne. Le rapport de 2011 pourra en effet donner une idée claire sur le montant exact du déficit de cette activité commerciale de TT.
A la lumière de ces données, l’INT lancera une consultation nationale qui fera participer des experts du domaine des télécoms, des représentants des opérateurs téléphoniques et du gouvernement ainsi que la société civile afin de remédier à ce déséquilibre dans les plus brefs délais.
D’autant que le timing est serré. En effet, avec l’obtention de sa licence du fixe, Tunisiana a le droit de lancer ses offres de téléphonie fixe à partir de janvier 2013. Des services dont une partie se basera sur le réseau de l’opérateur historique, d’après les récentes déclarations du DG de Tunisiana Kenneth Campbell à THD. Mais quid d’Orange ? Faut-il encore rappeler l’engagement de l’Etat à lui donner toutes ses chances de concurrencer TT sur le fixe, seul et pendant une année ? A suivre.
Welid Naffati
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