La publication du 30ème rapport de la Cour des Compte a été l’un des évènements majeurs de la semaine précédente. En effet, ce rapport, édité par l’institution gouvernementale responsable du contrôle des dépenses publiques, a mis à nu des dépenses conséquentes, voire même inexpliquées, dans les établissements publics traités. Nous avons choisi de consacrer cet article pour l’Office National de Télédiffusion (ONT).
Les principales remarques tirées par ce rapport sont traitées selon des axes : La diffusion numérique et terrestre, la relation de l’ONT avec ses clients, l’investissement et maintenance et enfin, la gestion des stocks. Dans chacun de ces axes évoqués, des défaillances ont été constatés. A titre d’exemple, la Cour des Comptes note l’incapacité de l’ONT à gérer convenablement le parc satellitaire qu’il loue annuellement, en particulier le satellite Arabsat Badr 4, où le nombre de coupures a dépassé les 43 rien que dans la période de 2013 – 2015.
Nous avons d’ailleurs évoqué une coupure lors du dernier week end dans ce même satellite, ce qui avait engendré un changement urgent de fréquences (lire notre news). Ces coupures fréquentes ont conduit à une baisse de la qualité de diffusion. Etant donné que la couverture de ce satellite est quasi similaire à celle du satellite Nilesat 104 7°West, la Cour des Comptes s’est interrogée sur l’utilité de cette allocation qui coûte cher au contribuable (Plus de 1 million de Dinars par an), surtout avec les coupures fréquentes, dont certaines qui avaient dépassé les 90 minutes, ce qui est énorme.
Des contrats de bande passante mal négociés
L’autre point cité par le rapport révèle une incapacité de l’ONT à négocier convenablement les contrats de diffusion avec les chaînes tunisiennes, notamment celles publiques. En effet, l’ONT accorde, pour le bouquet National, 4 mb/s sur Nilesat 104 et Arabsat Badr 4. A titre de comparaison, toutes les autres chaînes privées tunisiennes allouent seulement 3.5 mb/s. Ce décalage coûte à l’Office près de 75 k€ annuellement. Pire encore, cette allocation dépasse même le besoin de ce bouquet. En effet, suite à une demande, la Cour des Comptes a estimé la bande passante effective consommée par le bouquet National à 3.4 mb/s par chaine, alors que la bande allouée est de 4 mb/s. Cette différence de 0.6 mb/s coûte au contribuable 90 k€ en devises.
Télévision Numérique et Radio Terrestre : Un manque de vision qui coûte
Nous avons parlé plusieurs fois, sur THD, de la Télévision Numérique Terrestre. Ce projet, qui a été décidé depuis 2006, et qui tarde, jusqu’à nos jours de s’implanter correctement. Certes, les débuts étaient prometteurs, avec la création du réseau national de la télévision numérique terrestre en 2010, pour un coût total de 15 millions de DT. Néanmoins, aucun effort n’a été entrepris par la suite. La vente des téléviseurs non équipés n’a pas pu être contrôlée, les différents tests de ce réseau n’ont commencé que 2 mois avant la fin «officielle» de la diffusion terrestre ou encore, l’extinction de la diffusion analogique a été retardé, ce qui a créé un imbroglio juridique, causé par le fait qu’aucun organisme international (UIT notamment) ne protégeait, à partir du 17 juin 2015, les fréquences des opérations de brouillage. Résultat, la diffusion des chaînes nationales sur le réseau numérique terrestre a coûté, en seulement 6 mois, plus de 480 mille dinars rien qu’en électricité, alors que ce service n’était accessible que par 25% des foyers tunisiens.
La diffusion radio n’est également pas aussi rose. En effet, l’un des projets énormes radiophoniques du pays a été le renouvellement, en l’an 2000, de la station de diffusion Sidi Mansour, pour un coût de 15 millions de Dinars, dont une partie avait été financée par un prêt français de 5,482 millions d’euros, intérêts compris. Seulement, l’exploitation de cette station a été amoindrie de 7 ans, voire arrêtée totalement le 1er janvier 2014 (lire notre article), soit seulement 14 ans après le lancement du projet. Ce projet, qui reflète un manque flagrant en vision sous Ben Ali qui l’utilisait pour des fins de propagande, a été aussi très coûteux : Plus de 460 milles DT annuellement en redevance à la STEG et des dépenses injustifiées, dont 1 millions de dinars entre 2012 et 2013 pour le recrutement de 2 agents de maintenance et l’acquisition de pièces détachées pour la station.
Plus de 5 milliards de dettes auprès de la Chaîne Nationale
L’une des bizarreries évoquées par le rapport concerne le fait que l’ONT, depuis sa création, diffuse les programmes des chaînes nationales sur les réseaux terrestres et numériques en l’absence de tout cadre juridique. Certes, en 2012, un conseil des ministres a décidé l’obligation de la contractualisation des services entres les établissements étatiques. Un projet a bien été soumis, après l’estimation de coût des différents services techniques et financiers, pour un total de 10 millions de DT par an. La Chaine Nationale, habituée à une diffusion gratuite, avait alors émis des réserves sur ce coût. Cette situation a perduré jusqu’à septembre 2015.
Résultat, les dettes de l’Etablissement de Télévision Nationale relatives aux services de diffusion télévisée via le réseau de l’Union Européenne, le service du Teletexte, l’allocation de la station terrestre via le réseau numérique a dépassé les 1912 millions de Dinars. Le total de ces dettes, pour ce seul établissement, a même atteint les 5,658 millions de dinars, ce qui avait causé des problèmes de liquidités conséquents au sein de l’ONT.
2 milliards en pièces de rechanges non exploitables
Nous avons évoqué, ci-dessous, le problème relié à la fermeture de la station Sidi Mansour. Le rapport revient avec un détail assez significatif, la présence de pièces de rechanges dédiées à cette station, dont le coût est estimé à 2.179 millions de dinars. Ces pièces sont inexploitables, du fait que la station a été arrêtée depuis le 1er janvier 2014. Pire, la Cour des Comptes a révélé une acquisition en pièces de rechange de 475 milles dinars en novembre 2013, soit seulement 2 mois avant l’arrêt de l’exploitation de la station.
L’étude du rapport de la Cour des Comptes n’a pas certes révélé des défaillances majeures. En effet, les coûts relevés sont assez minimes par rapport aux budgets des différentes institutions traitées. Néanmoins, il révèle un problème de gouvernance très significatif et des pertes en devises pour la plupart des cas, dues à des défaillances contractuelles, législatives, ou encore par manque de vision. Entre institutions étatiques, il est temps de mettre au point des règles strictes et des relations horizontales et d’en finir, une fois pour toute, avec la non-indépendance des établissements entre eux.
Seif Eddine Akkari
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